91. Jardin secret

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Sanji contemplait le ciel encore assombri autour de lui. Le temps s'éclaircissait et le soleil ne tarderait pas à se lever, emportant avec lui les derniers voiles de la nuit. A quelques pas et assis contre la rambarde du petit voilier qui les ramenait vers All Blue, Zoro dormait à poings fermés. Le bateau possédait une petite cabine mais ni lui ni le sabreur ne l'avait réellement utilisée pendant leur voyage. Ils se relayaient pour surveiller le cap et l'océan mais celui qui n'était pas de garde ne restait jamais bien loin de l'autre. Que ce soit parce qu'ils voulaient se tenir prêts en cas d'alerte pour réagir au plus vite ou simplement pour rester proches après tous ces mois de séparation, le blond n'en savait rien, mais le fait est que le bois du pont les avait plus souvent accueilli que le moelleux du lit qui leur tendait pourtant les bras.

Plongé dans ses réflexions, le cuisinier s'appuya précautionneusement contre le gouvernail, observant le paysage infini de la mer qui s'étalait sous ses yeux. Comme le sabreur l'avait annoncé d'entrée de jeu à son vieux maître, ils ne s'étaient pas attardés à Shimotsuki plus que le temps nécessaire à Zoro pour se recueillir et reprendre des forces dans ce lieu unique où reposait à jamais une partie de sa détermination et de sa volonté. C'est ainsi que peu après le dîner, ils n'avaient pas tardé à faire leurs adieux au propriétaire des lieux. Celui-ci ne s'en était pas offusqué et les avait même raccompagnés aux limites de son domaine. A cette occasion, Zoro avait été ravi d'échapper aux effusions des apprentis bretteurs qui n'auraient pas manqué de le poursuivre car avec l'heure tardive, plus aucun d'entre eux n'était présent à cet instant. Ils avaient donc embarqué sitôt leur petit bateau retrouvé et deux jours plus tard, ils n'allaient pas tarder à retrouver All Blue.

Le blond avait appelé leur équipage la veille pour prévenir de leur retour et il avait alors appris que ces derniers profitaient de leur absence pour voyager eux aussi de leur côté : ils avaient pris le Sunny pour faire le tour de l'archipel et montrer à Nojiko et à Vivi les recoins qu'elles n'avaient pas encore visité. Sanji était un peu déçu de ne pas pouvoir les accompagner, d'autant qu'il savait que le départ des jeunes femmes était imminent désormais. Cependant, il ne regrettait pas d'avoir suivi Zoro sur le chemin de son enfance, là où tout avait commencé pour lui comme pour son rêve. Il se sentait même sincèrement honoré d'avoir été invité à partager ce moment tellement important pour son compagnon et il mesurait le privilège qui lui avait été fait. C'est pourquoi il n'avait que faiblement ronchonné en apprenant la nouvelle au sabreur qui s'était contenté d'hausser les épaules en retour. Chacun avait ainsi joué son rôle et sauvegardé les apparences : Sanji était déçu de ne pas avoir pu profiter de la présence des filles et Zoro se moquait bien de ce que ses compagnons pouvaient faire comme de la réaction du blond.

Ce n'était pas parce que leur lien paraissait plus fort que jamais qu'ils allaient oublier leur rivalité et leurs remarques acérées à l'égard de l'autre. Ils étaient de toute façon bien conscients que la saveur de leur relation tenait aussi à leurs répliques acerbes masquant leurs véritables sentiments et ils les appréciaient donc tout autant que les moments plus rares où leurs masques tombaient pour révéler la profondeur de leur attachement réciproque. Ces instants étaient certes moins habituels mais ils se révélaient toujours particulièrement intenses et un certain embarras demeurait lorsque l'un osait s'avancer à découvert face à l'autre. Étrangement, c'était une facette de leur relation qui n'avait jamais changé malgré les années et Sanji avait tendance à croire qu'il en serait toujours ainsi.

Le cuisinier chercha finalement ses cigarettes au fond de sa poche avant d'en allumer une tandis qu'il laissait traîner son regard du côté de l'escrimeur toujours profondément endormi, ses sabres sur ses genoux. Les quelques heures qu'ils avaient passées à Shimotsuki lui semblaient déjà loin mais cette parenthèse démontrait déjà ses effets positifs sur l'épéiste et il s'en réjouit. Désormais, il savait que Zoro était totalement réconcilié avec lui-même, comme en témoignait son sommeil de plus en plus régulier. Le blond détailla alors plus précisément sa silhouette tranquille. La vulnérabilité que le sabreur laissait entrevoir à son insu lorsqu'il dormait n'était plus un signe évident de sa faiblesse. Dorénavant, ses traits détendus attestaient plutôt de sa sérénité retrouvée et sa respiration ample laissait deviner la puissance qui se révèlerait à coup sûr lorsqu'il ouvrirait les yeux.

Par-delà nos rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant