21. Partir quand même

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Zoro se réveilla en sursaut et se redressa sur le lit, les sens en alerte. Il s'immobilisa pendant une longue minute, à l'affût du moindre son, mais la chambre était calme et au-dehors, seul le pépiement des premiers oiseaux lui parvenait. L'aube n'allait pas tarder à poindre. Le sabreur se rallongea, cherchant la raison de l'emballement de son cœur. Il se tourna et observa la respiration régulière du blond à ses côtés. Pour une raison qui lui était inconnue, cette vision l'apaisa autant qu'elle le troubla et son cœur recommença à tambouriner dans sa poitrine.

Zoro se rassit, mal à l'aise. Était-il en train de tomber malade ? Le climat était plutôt stable ici et il n'avait pas souvenir d'avoir pris un courant d'air. De même, avoir mangé de la nourriture avariée était à exclure puisque son compagnon s'occupait de tous leurs repas et qu'il ne semblait pas souffrir au vu de son sommeil détendu.

Le bretteur eut un sourire malgré lui. Il doutait que le saké de la veille soit responsable de son état. Au contraire, il n'avait jamais eu un goût aussi délicieux que lorsqu'il l'avait bu à même la peau de son amant... L'épéiste reporta alors son attention vers le cuisinier dont le visage était encore largement obscurci par la nuit. Il se sentait bien ici.

Une angoisse lancinante remonta soudain de son ventre jusqu'à son cœur, l'enserrant douloureusement, et le sabreur porta une main instinctive à sa poitrine, sous le choc. Il n'était pas malade, il était totalement paniqué ! Il s'obligea alors à prendre de grandes inspirations et se repassa le fil des derniers jours dans sa tête.

Il connaissait son corps et il n'avait aucun doute sur le fait que ce dernier tentait de lui envoyer un message de la plus haute importance. L'angoisse était souvent un moyen pour l'esprit de se faire entendre lorsque la partie consciente du cerveau refusait de prendre en compte tous les éléments à disposition. C'était un mécanisme de défense banal mais terriblement efficace. L'escrimeur était également conscient qu'il ne fallait pas laisser ces signaux prendre de l'ampleur : plus une vérité était dérangeante, plus l'esprit la refoulait mais un jour ou l'autre, elle ne pouvait plus être ignorée et ressortait dans toute sa puissance.

Zoro fronça les sourcils. Il n'avait rien fait d'extraordinaire les jours précédents. Il était pourtant particulièrement heureux entre ses journées sur la plage avec l'équipage et ses nuits plus qu'embrasées avec le cuisinier. A cet instant, le bretteur sentit sa respiration se couper et ses yeux s'écarquillèrent tandis que son regard se posait instantanément sur son compagnon.

Il approcha sa main pour dégager l'une de ses mèches blondes mais avant même qu'il n'ait frôlé ses cheveux, il suspendit son geste, le cœur battant. Il n'avait pas oublié, il avait juste... mis tout cela dans un coin de sa tête pour en profiter tant qu'il le pouvait encore. Mais il semblait qu'il soit arrivé au terme de ce qu'il pouvait exiger de lui-même.

Le sabreur se rallongea pour faire face au cuisinier toujours paisiblement endormi.

Il avait compris : il fallait qu'il s'en aille, qu'il quitte All Blue. Sans attendre. Sous peine de ne plus pouvoir le faire. Sans même en avoir conscience, Sanji était en train de lentement scier sa volonté. Il amadouait son orgueil jusqu'à lui faire oublier sa raison d'être.

Cette pensée le terrifia. Une partie de lui-même voulait se satisfaire de ce qu'il avait déjà obtenu. Une autre lui hurlait qu'il n'avait pas le droit d'oublier ni son engagement envers lui-même ni sa promesse à Kuina.

Il savait que le rêve du cuisinier était ici. Il avait atteint son but et il avait donné sa parole aux habitants de l'île, pourquoi voudrait-il repartir sur le Sunny avec eux ? Lui, son rêve était encore loin.

Zoro soupira doucement dans le silence de la chambre. La vie auprès de l'équipage était agréable, celle auprès du cuisinier était devenue confortable. Il s'était habitué à une routine où la douleur de ses entraînements quotidiens était compensée par la passion de ses nuits. Emporté par leurs aventures incessantes, il avait intégré le risque de le perdre au détour d'un combat mais pas celui de devoir lui-même se priver de ce bonheur.

Par-delà nos rêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant