chapitre six

41 10 35
                                    


– Quelqu'un peut me passer le couteau ?

– Attends, je suis en train de lui découper les yeux.

Natéo éclata de rire. Ses cheveux partaient dans tous les sens à cause du vent et iel avait fini par les attacher en un chignon peu réglementaire. Sa bouche s'ouvrait souvent pour organiser le découpage des citrouilles et un souffle glacé s'en échappait. Ses pieds frappaient le sol à un rythme régulier pour dégeler ses orteils. Le bout de ses oreilles étaient rouges et une petite goutte pendait le long de son nez.

– Qu'est-ce qu''il arrive l'autre ?

La femme à côté d'iel rit.

– Je pense que mon neveu profite bien de la chaleur de la maison.

Natéo grommela mais se dit qu'il avait bien raison de profiter. Alors que sa main se levait pour prévenir que la place était libre, un petit garçon déboula devant sa table et posa un sac énorme pour sa taille.

– Z'ai ramené les chaufferettes !

Le petit garçon regardait d'un air fier ses petits bras qui l'avaient aidé à porter les affaires. Il prit une chaise et une citrouille qu'il venait de faire. Il traça les contours du bout de ses gants en laine avec les sourcils froncés. Quand il eût fini, il eût un sourire satisfait et regarda les familles pressées.

Les quelques personnes qui organisaient les activités étaient fières. Même si la Bretagne acceptait plus Halloween que le reste de la France (une solidarité celte ?), la fête n'était pas très implantée. Mais cette année, ça fonctionnait. Les grands-parents apportaient des citrouilles de leur jardin, trois collégiennes avaient pris en charge le maquillage et des affiches encourageaient les enfants à décorer leur maison. Natéo savait que ce ne serait pas un Halloween spectaculaire mais c'était déjà un grand changement.

– Si vous saviez combien je suis contente, lâcha une grand-mère en un soupir. Cette petite activité met enfin de l'activité dans ce village ! Je ne vais pas vous cacher que j'étais un peu contre cette fête au départ parce que les américains inventent toujours plein de choses mais mon petit-fils – le grand, pas le petit – m'a tout expliqué.

Natéo sourit et lui demanda si elle voulait décorer une citrouille.

– Mais je ne vais pas prendre la place de quelqu'un ? Et puis, vous savez moi, gâcher de la bonne courge comme ça...

– On les a déjà vidées pour faire une soupe populaire qui sera distribué. Et il n'y a pas encore grand-monde, c'est l'heure de la sieste.

La vieille dame se laissa convaincre et la jeune personne lui montra patiemment comment il fallait tracer. Elle prit facilement le coup de main et les deux se mirent à discuter.

– Mam-goz !

L'air choqué de la grand-mère rappela à Natéo qu'iel devait bientôt rentrer chez sa mamie. La jeune personne releva la tête et ses sourcils montèrent. Tancrède se tenait devant sa table, les mains dans les poches de son long manteau. Il avait dessiné une araignée qui descendait le long de son eye-liner et tenait un couteau à la main. Dans l'autre, il avait une petite citrouille qu'il venait d'évider. Il contemplait Natéo avec un sourire.

– Je suis là pour prendre ta place.

La jeune personne se leva et bafouilla quelques mots. Il l'avait pris par surprise !

– Il fallait que je rentre de toute façon.

Iel fit un signe de la main à la grand-mère, ajusta le bonnet du petit garçon et tourna les talons.

Memento MoriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant