chapitre un

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Les gouttes coulaient une par une le long de la vitre. Elles se faisaient la course, s'éloignaient et se rapprochaient. Des amas de nuages gris ne permettaient pas de distinguer le ciel. Les voitures filaient sur les routes goudronnées sans même s'adresser un regard. Les traits blancs se confondaient dans le rythme pressé des machines. De lourds camions bloquaient des foules impatientes.

Natéo regardait par la fenêtre sans voir vraiment les champs qui défilaient le long de la route. Une sonate de Frédéric Chopin s'éternisait sur la radio. Cela faisait déjà une centaine de kilomètres que le silence avait succédé aux blagues de son père. Sur ses genoux, un atlas était ouvert mais ne servait plus à rien. À quoi pouvait-il bien servir ? Leur duo connaissait ce trajet par cœur. Pas une hésitation n'avait marqué la conduite assurée de son père. Les sorties à ne pas manquer, les vaches qui broutaient et les ralentissements habituels.

Un paquet de chewing-gum était ouvert entre leurs deux sièges. Natéo avait encore sur ses lèvres le goût de la menthe. Le sien était maintenant roulé dans son papier et caché dans la portière.

Même Chopin n'a plus osé briser le silence de l'habitacle. Natéo était triste. Son père aussi. Alors les deux se taisaient. Les adieux n'avaient jamais été larmoyants. Ce moment en voiture, où le temps disparaissait presque, était leur rituel. Peu de mots étaient échangés. Comme chaque année, la vieille voiture avait été sortie du garage pour emmener Natéo à l'école. Pour les vacances, c'était le train. Mais selon son père, la voiture avait un charme en plus. Il aimait ces instants apaisants où il ne restait plus que lui et les chemins. Seuls les grands arbres pour témoins. Une passion qu'il n'avait pas réussi à transmettre à son enfant.

– Bonsoir et bienvenue sur France Inter dans cette édition du 19h. Nous sommes ensemble pour une demi-heure d'informations. Dans l'actualité ce soir...

Natéo augmenta légèrement le son. Un de ses plaisirs préférés était d'écouter la radio et même si le journal de ce vendredi soir ne faisait que lui rappeler à quel point la rentrée était proche, ses oreilles étaient ouvertes religieusement.

Il était tard. La nuit tombait peu à peu et son ventre gargouilla d'un repas qui allait arriverait dans longtemps. Il faisait chaud sous la couverture que son père avait pensé à apporter mais le temps était déprimant, surtout pour un mois de septembre.

La voiture prit un embranchement et la route se fit moins stable. La route droite jusqu'à la mer avait laissé la place à un chemin de campagne. Le paysage alternait maintenant entre des petits villages et des près. Cela les empêchait d'aller très vite mais c'était plus amusant que des champs quadrillés. Natéo se mit à compter machinalement le nombre d'églises sur leur route. Certaines étaient petites et discrètes tandis que d'autres avaient été victimes de l'ambition du hameau et étaient écrasées par leur lourdeur architecturale.

– Tu peux envoyer un message à ta grand-mère pour lui dire qu'on arrive dans une demi-heure ? Tu peux même l'appeler, si tu veux.

Natéo secoua la tête et saisit son téléphone sur le point de mourir faute d'avoir été rechargé. Quelques notifications s'affichaient mais sa main les balaya pour aller sur son application de messagerie. Ses doigts hésitèrent quelques instant au-dessus de l'écran et tapèrent finalement trois phrases. La réponse arriva moins d'une minute plus tard.

– Elle dit que le clafoutis aux pommes vient de sortir du four et elle espère que le poulet avec des poires nous plaira, lut sa voix fatiguée.

– Quelle question ! Elle pense vraiment que je vais rejeter le plat de mon enfance ?

La voix de son père tremblait de faux trémolos qui auraient fait pleurer dans les chaumières.

– Je t'ai déjà vu refuser un gâteau au chocolat alors depuis...

Memento MoriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant