Partie de Rachel - Chapitre 4

78 12 4
                                    

Et du coup chapitre plus court que les autres. Dedans : un peu de rage et un peu de douceur.


Les larmes habituelles naissent sur ses joues. Une incompréhension prégnante l'envahit. La douleur de ces femmes, leur force, cette magie dont on ne lui a jamais parlé, cette ignorance de leurs origines que cette autre Rachel et elle partagent. Tout la submerge. L'enfer qu'elle traverse est organisé. Depuis des siècles et des siècles. Tout est fait pour qu'elle ne sache rien. Qu'elle ne fasse rien. Ça la plonge dans une colère folle. Il y a sept ans, elle a cessé d'espérer. Quand elle a vérifié que les dates du carnet et celles des registres concordaient, quand elle a vu la tombe de Célia. Alors elle a cessé de croire que le Roi l'aimerait et la traiterait bien si elle faisait ce qu'il voulait. Cessé de prier pour que sa vie s'améliore. Cessé d'imaginer savoir un jour d'où elle venait. Elle a cessé d'espérer, pour croire en elle seulement. En ses capacités, en sa puissance (peut-être plus grande encore que ce qu'elle pense). Elle sait qu'elle ne peut compter que sur elle. Ou plutôt, que sur les femmes, et sur aucun homme. Jamais le Roi ne lui révélera la vérité sur cette magie qu'elle a tenté en vain de convoquer, jamais le Roi ne lui dira où est sa mère, jamais il ne prendra le risque de lui donner une once de pouvoir. Il n'est pas de son côté. Il ne le sera jamais.

Athéna, en revanche, l'est. Bien sûr elles ne peuvent pas encore se faire une confiance aveugle. Ce serait trop risqué de lui faire lire le carnet tout de suite. Elle aimerait pourtant. C'est de plus en plus dur d'attendre, si solitaire. Elle voudrait que sa colère, son choc, son horreur soit partagés. Avant ça, il faut qu'elle soit sûre qu'Athéna est prête à se révolter contre les Rois. Prête à tout abandonner, à désirer s'enfuir ou mourir, mais plus jamais subir.


Trop occupée à arroser les fleurs, Athéna ne s'aperçoit pas de son retour. Elle sursaute quand Rachel fait remarquer :

– J'adorerais en planter plus.

Elle se tourne vers elle, surprise. Ça les fait rire toutes les deux.

– Vous le pouvez maintenant.

– Je n'ai pas le temps.

– Je le ferai pour vous.

– Ça me ferait plaisir !

– Cette coiffure vous va bien, ajoute Athéna d'une voix légère.

– Vous trouvez ?

– Oui, vraiment. Tout vous va.

Le contraste entre le Roi et la Dame ne pourrait être plus saisissant. Athéna lui ouvre la penderie, et elle s'avance pour observer les robes. Elle choisit la plus confortable – elle a beaucoup à faire aujourd'hui. Elle l'enfile avec l'aide de la Dame, qui la referme dans son dos. Elle peut ne pas porter de corset cette fois-ci. Elle aime que le tissu retombe, très ample, autour d'elle. Elle se jette un coup d'œil dans le miroir. Elle se trouve belle, pour la première fois depuis longtemps puisqu'elle l'est enfin pour elle-même. Pour elle-même seulement.

– Je vais vous autoriser à ne plus être à mon service, déclare-t-elle. Vous serez libre d'aller où vous voulez dans le château, et de sortir accompagnée. Je compte l'annoncer au banquet ce soir.

– Non.

Étonnée, elle interroge la Dame du regard. Elle joint ses mains (très pâles, très fines, comme de la dentelle) avec nervosité.

– C'est quelque chose que Carl pourra utiliser contre vous. Les Carreaux ne prendraient pas bien le fait que je sois aussi bien traitée, ils vous considéreraient comme une traîtresse.

– Je le sais. Mais je ne veux pas vous...

– Ça ne me dérange pas, l'interrompt-elle en baissant les yeux. Vous n'abusez pas de votre position. Nous sommes alliées. Je remplirai mon rôle si cela peut vous aider à conserver le trône.

Elle la regarde à nouveau et reprend plus enjouée :

– Et puis, je suis plutôt douée pour ça non ? Dans quelque temps je saurai bien vous coiffer. Et savoir quelles robes vous préférez porter.

Rachel sourit. Elle aime bien ce regard qu'elles échangent, complice encore. C'est quelque chose auquel elle espère ne jamais s'habituer. Quelque chose qui devrait conserver sa magie pour toujours, tant elle l'a attendu.

– Voulez-vous que je vous coupe les cheveux, d'ailleurs ?

Athéna se tourne vers elle, très surprise.

– Vous êtes sûre ?

– Personne ne remarquera.

– Mais vous feriez ça ? Pour moi ?

Rachel sourit et saisit une paire de ciseaux dans un tiroir. Elle fait asseoir Athéna à la coiffeuse. Dans le miroir, la Dame l'interroge du regard une dernière fois, et elle la rassure d'un hochement de tête. Elle saisit quelques boucles, plus longues que les autres, qui pendaient d'un côté. Elles sont très douces entre ses mains. Juste avant d'égaliser, elle s'enquiert :

– Quelle longueur vous plairait ?

– Je ne sais pas. Je ne les ai jamais coupés avant.

Sa voix s'estompe. Dans ses yeux, deux larmes luisent.

– Je peux tout couper, si vous voulez, et vous recommencerez de zéro.

– Non, ça me rendrait trop triste. Je ne veux pas qu'ils soient trop courts.

Elle se penche pour s'observer de plus près. Rachel laisse filer les cheveux entre ses doigts.

– Vous pourriez les laisser un peu longs sur ma nuque ? finit-elle par dire. J'aime bien la sensation. Ça me donne l'illusion de ne pas les avoir perdus.

– Bien sûr.

Elle saisit à nouveau quelques boucles et se met à couper. Elle guette dans le miroir la réaction d'Athéna : elle a toujours l'air triste, mais plus déterminée aussi. Ses cheveux tombent au sol, s'y éparpillent comme des rayons de soleil. Peu à peu la masse inégale de cheveux qui couvraient le crâne d'Athéna retrouve une forme nette et lumineuse. Le visage de la Dame s'éclaire au fur et à mesure. Lorsque Rachel s'écarte, elle passe la main entre ses boucles, les agitent pour qu'elles se couvrent de reflets scintillants.

– Alors ? Comment vous trouvez-vous ?

Elle s'attend à ce qu'Athéna réponde « Belle. », mais la Dame referme ses yeux émerveillés, et répond calmement :

– Digne.

Rachel hoche la tête. Elle a l'air plus humaine, plus équilibrée, plus elle-même (et sublime tout de même).

Les ReinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant