Léna courrait, serrant le petit paquet contre elle. Pour l'instant, le petit garçon était calme, endormi dans ses bras, mais elle savait que ça ne durerait pas. Elle avait rabattu sa longue cape noire autour de lui pour le cacher et le protéger des tiges qui lui fouettaient le visage tandis qu'elle s'enfuyait, aussi vite qu'elle le pouvait, dans la forêt qui jouxtait le village. Elle savait qu'elle avait peu de temps. Bientôt, les hommes organiseraient une battue pour tenter de retrouver le petit. Mais elle ne pouvait le leur laisser. Il était marqué. Il était comme elle. Il avait sa destinée.
La jeune fille ne s'arrêta pas avant d'avoir traversé la rivière. Le petit garçon s'était réveillé lorsqu'elle l'avait attaché dans son dos pour grimper à l'arbre et sauter de l'autre côté. Il pleurait à présent, tandis que Léna cherchait une cachette où ils pourraient faire une pause, avaler quelque chose peut-être. Elle finit par choisir un petit trou entre les buissons et y installa le bébé qui pleurait toujours. Il était minuscule, à peine âgé de quelques mois. Elle sortit un biberon froid d'une poche de sa cape. Elle ne pouvait pas faire mieux, il fallait qu'ils repartent vite.
Le petit devait avoir faim. Il avala le lait sans rechigner, cessant de pleurer. Une fois qu'il eut fini, Léna le prit à nouveau dans ses bras et reprit sa course. Il ne fallait pas s'arrêter, courir toujours plus vite pour se mettre en lieu sûr. Et surtout, il fallait éviter les hommes.
Leur fuite dura longtemps, toute la journée. Léna était épuisée, elle n'avait pas fermé l'œil depuis deux jours, et son dernier repas, qui datait de la veille, lui paraissait très lointain. Mais elle continuait de courir, le bébé dans les bras. Au moins, elle n'aurait pas à dormir dehors comme certains de ses camarades. Son village était assez proche du Sanctuaire.
Ils y parvinrent en fin de soirée. En apercevant enfin l'entrée du Sanctuaire, Léna fut prise d'un immense soulagement. Enfin. Le petit garçon s'était rendormi pendant la course, la tête sur l'épaule de la jeune fille, mais il se réveilla lorsqu'elle frappa à la porte. Peut-être avait-il senti que sa vie allait à présent basculer? Le portail s'ouvrit et on lui fit signe d'entrer.
Léna suivit le couloir familier, la main posée sur le mur irrégulier. Le Sanctuaire était construit dans la roche, au milieu de la montagne, presque indétectable pour les humains. Elle arriva enfin dans la salle où l'on coordonnait les arrivées. Quelqu'un la déchargea du petit Tom, c'était son prénom, et lui tendit un sandwich. La jeune fille se mit à manger en observant les soignants qui vérifiaient que le petit garçon n'était pas blessé, qu'il avait bien supporté la course dans la forêt. Ils l'emmenèrent ensuite dans une autre pièce et Léna décida d'aller se coucher. Elle déposa au passage la longue cape noire dans un grand bac. Elle n'en aurait plus besoin, du moins plus avant quelques années. En la retirant, elle découvrit cependant brièvement son poignet droit. La marque noire y était plus visible que jamais, faisant d'elle une ombre, obligée de voler les enfants marqués. Mais il le fallait. Elle n'avait pas le choix, eux non plus. C'était là leur destinée, il en allait du bien du pays tout entier.
Léna dormit d'un sommeil de plomb. Elle se réveilla tard le lendemain matin, parfaitement reposée, et elle alla prendre son petit-déjeuner. Mais à peine eut-elle fini qu'elle fut réquisitionnée. On avait besoin d'elle à la nurserie, pour s'occuper des quelques jeunes enfants marqués les années précédentes. La jeune fille s'exécuta immédiatement. De toute façon, il fallait attendre l'arrivée de tous pour procéder au débriefing. Étant donné qu'elle avait ramené un enfant, elle y serait conviée, avec deux ou trois autres. Tout ça était une affaire de chance. Il n'y avait pas beaucoup d'enfants marqués chaque année, la plupart du temps pas plus de trois ou quatre. Léna avait tiré la bonne pioche.
C'est elle qui serait chargée de l'éducation du petit Tom pendant les années à venir, puisque c'était elle qui l'avait trouvé, et rien n'était plus honorable que de s'occuper d'un enfant marqué. Cela signifiait aussi qu'elle n'aurait plus à participer aux recherches avant que le petit garçon ne soit en âge d'y aller lui-même. En revanche, les missions de protection se feraient plus ardues, avec un pupille sur les bras.
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La Nuit des Ombres
FantasyChaque année, une malédiction s'abat sur le pays. Communément appelée la Nuit des Ombres, ce jour est redouté de tous. Les habitants ont beau se barricader, des silhouettes noires comme la nuit s'infiltrent dans les maisons, à la recherche des enfan...