Chapitre trois : Eryne

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       J'attrape la robe cintrée noire avec un dos nu qui descend jusqu'à la chute de reins et les bretelles assez large pour couvrir mon tatouage. Je replace mes cheveux dans mon dos et observe une dernière fois mon reflet avant de sortir. Ce soir est un grand soir. On vend notre toile. Ça va faire un an que je travaille dessus avec acharnement. Elle est passée devant plusieurs experts. Ils l'ont tous validée. Ce soir, est un renouveau, une renaissance. Elle est parfaite, les couleurs sont identiques, les tracés similaires aux millimètres près, rien ne dépasse, tout est en ordre. J'ai mes faux papiers, ma fausse identité. Anna Clark, la femme qui arpente les ventes aux enchères mais avant de la vendre, la toile est exposée en galerie.

- Eryne ? Tu nous rejoins après ?

- Je ne sais pas.

- Allez Sinaï, avoue que le sexe est plaisant.

- Mila, je commence à m'inquiéter pour ta santé sexuelle.

Elles sont toutes avachies dans le canapé devant une émission de téléréalité. Elles ont commandé des pizzas. Je les laisse avec plaisir. Je préfère aller admirer la concurrence. Je referme soigneusement la porte derrière moi, mes talons faisant vibrer le sol en parquet de l'immeuble. Je veux voir à combien est fixé le prix de départ de mon œuvre. Je sais qu'elle vaut cher. Elle m'a coûté une fortune en matériel sans compter toutes les heures de travail.

Le taxi est déjà prêt. J'ai l'impression de vivre un moment historique alors que le monde entier l'ignore. Je suis impatiente. Demain a lieu la vente et j'ai hâte de savoir combien on va en tirer. Bien sûr, il y a les frais de vente mais je sais déjà qu'on est sur des millions et que la vente va grimper par pallier de dizaine de milliers, avec un peu de chance par centaine de milliers. Dans les rues, les passants sont dans leur état habituel alors qu'au fond, j'ai l'impression d'être un matin de noël. J'ai du mal à rester sans bouger. Plus on se rapproche, plus je peux sentir mes mains devenir moites. Lorsque le véhicule s'arrête, je prends une grande inspiration. Tout va bien se passer. Si la toile est exposée, c'est qu'elle est reconnue comme véridique.

Je remonte le tapis rouge et contrôle mon cœur, mes mains, mes jambes, tous mes membres qui peuvent montrer mon anxiété.

- Votre nom et votre invitation, s'il vous plaît.

- Anna Clark.

- Bonne soirée, mademoiselle.

Je m'empresse de passer les portes, et dedans, l'ambiance est toujours très chic. La galerie est composée d'un hall et de plusieurs salles. Je m'empare d'une coupe de champagne et d'un livret. La visite débute par les objets anciens. Je les regarde sans vraiment m'y attarder. Ce n'est pas ce que je préfère. Je préfère m'avancer vers les toiles. Il y a plusieurs toiles de jeunes artistes. Certains viennent d'Amérique tandis que d'autres ont traversé les océans. Elle est là, au fond de la galerie. C'est la pièce maîtresse de cette exposition. Tout le monde l'ignore mais cette œuvre est la mienne. J'ai envie de la toucher. La voir là, toute seule sur un mur blanc me remplie de fierté. Je l'ai caressée pendant des mois, des heures d'acharnement et quelqu'un va l'acheter. Je l'ai fait. Pour la cinquième fois de ma vie. Elle est là, dans cette galerie aux murs blancs, après le tapis rouge devant l'entrée, avec des serveurs habillés en costume et elle fait face aux personnalités publiques. John McCarter, investisseur en bourse, Brenton Rosen, directeur d'une société de construction automobile, Adam Smith, directeur technologique dans une entreprise internationale, Aby James, héritière de son défunt mari. Que des personnalités avec un portefeuille plus lourds que le poids de la pyramide de Gizeh. Je me place légèrement en retrait du tableau, observe discrètement les personnes se plaçant devant et les écoutant d'une oreille. C'est Aby James qui s'y intéresse en premier avec une autre femme.

[L.1] LOVE & ARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant