Dark Alley by Nele-Deil - Deviantart
Hegelburg at Night - Relaxing Fantasy Music
Dehors, la lune ronde, immense, pleine, éclairait tout de sa lumière. Courageuse mais peu téméraire, elle rabattit rapidement sa capuche sur son front pour que la lueur de la lune ne révèle pas sa véritable nature... Les rues étaient désertes, seules quelques vendeurs tardifs finissaient de fermer boutique en ce début de nuit. Sentir l'air frais d'une ville épurée de toute présence la rendait vivante. Elle entama sa marche en direction du chant de tout à l'heure. Des poules, des cochons, des ânes... les odeurs de bassecour se précipitaient à elle à chaque coin de rue. L'on entendait le clappement de sabots, de volets qui se ferment, de pas hâtés, de sceaux en bois qui se rangent. L'air était doux, ni trop chaud, ni trop froid, presque suffisamment frais pour se promener pieds nus. Adossé à un pan de maison en briques, elle leva les yeux sur l'immensité céleste et pria de pouvoir apercevoir sa maison depuis l'immense rocher que l'on voyait au loin, fixe et froidement sombre par le contre-jour avec la lune. Peut-être ressentait-elle la différence de distance entre elle et l'astre d'Utop à ici sur Gaïa, elle se sentait en dérive, loin, presque abandonnée par cette lueur qui la berçait chaque nuit.
Puis elle arriva au milieu de ce qui semblait être la place du marché. De grands et anciens bâtiments en pierres et en ciment lui faisaient face. Le moindre détail architectural ressortait de l'ombre. Les volutes et les moulages des façades associaient presque ces lieux à un autre temps. L'immense horloge solaire de l'église fonctionnait encore par la lune, mais d'une drôle de façon par la trajectoire qu'avait celle-ci dans le ciel, bien différente de celle du soleil. Au bout d'un quart d'heure à admirer l'endroit, plus personne ne se fit entendre. Elle était seule parmi les escaliers et les dalles de pierres. Le silence l'enveloppa et elle s'assied sur les marches de ce qui sembla être la bibliothèque. L'envie d'ôter son capuchon pour se baigner dans la lueur de la lune la tiraillait, pas elle respectait les règles instaurées par Aaron depuis qu'ils étaient ici. Pour les Illumineux, la lueur de la lune n'est pas seulement un prétexte étrange de luire dans la nuit, c'est aussi un moyen direct d'être apaisé de toute angoisse et de retrouver des forces aussi bien physiques que psychiques. Elle se contenta alors de fixer béatement les dalles éclairées d'un spectre pâle, et jouer avec ses mains.
Un homme également encapuchonné traversa la place pour se diriger vers elle, sans qu'elle ne l'ait aperçu en premier. Il était bien grand, bien mince, habillé d'un manteau noir qui lui descendait jusqu'aux pieds, et portait à son cou un épais médaillon d'or qui brillait par moments. Lorsqu'elle le vit approcher, elle eut d'abord un instant d'alerte en se rappelant qu'elle ne devait croiser personne, puis se ravisa à s'éloigner pour ne pas éveiller les soupçons. L'inconnu se rapprocha jusqu'à dévoiler un faciès vieilli par les âges, et abîmé par un passé violent. Une brûlure lui mangeait tout le côté gauche du visage et il ne souriait plus de cet endroit. Avant même qu'il ne s'approche davantage, elle eut conscience qu'elle le fixait avec peut-être trop d'insistance et de curiosité, et baissa le regard pour se fondre dans la pénombre du bâtiment. Puis l'homme s'assit sur les marches de la bibliothèque, en contrebas, pour regarder autour de soi et ôter le capuchon de sa tête. Edel resta coite... sur son crâne chauve meurtri par cette cicatrice avaient légèrement déteint en plusieurs nuances d'argent qui reflétaient la lueur du ciel. Sa peau avait comme des stigmates de lumière semblables à une nuée d'étoiles, comme de la poussière brillante, comme une voie lactée qui lui parcourait la nuque et les oreilles. La petite fille n'en crut pas ses yeux. Un Illumineux, ici ? Mais pourquoi ? Aaron avait toujours dit que c'était interdit et qu'ils étaient tués. Aurait-il menti ? Peut-être que cette personne est tombée d'Utop elle aussi, peut-être qu'elle se cache en attendant de rentrer là-haut, peut-être... Une angoissante nuée de questions lui monta soudainement à la tête et elle se sentit presque mal à l'aise d'avoir désobéi à son mentor. Que faire à présent ? Edel n'allait pas laisser passer cette occasion : cet homme peut sûrement les aider à rentrer à Utop, il doit connaître les allers et venues de la navette. Alors elle saisit sa chance et se leva pour venir s'asseoir à ses côtés. Le vieil homme sursauta en la voyant dans son angle mort.
— Vous êtes un Illumineux ? demanda-t-elle en soufflant à peine tant l'excitation lui compressait les poumons. Vous en êtes vraiment un ?
D'abord surpris puis affreusement gêné d'avoir été troublé dans son recueillement, l'homme fronça un sourcil avant de lui répondre d'une voix suave et calme :
— Est-ce que vos parents savent que vous vous promenez la nuit ?
— C'est quoi votre cicatrice ? demanda-t-elle de but-en-blanc.
— Ma cicatrice... ? Vous êtes bien impolie de demander une chose pareille.
— S'il vous plaît, dites-moi, j'ai besoin de savoir ! Est-ce que ce sont les Fourvoyards qui vous ont fait ça ?
Devant l'instance de cette petite fille, il n'eut d'autre choix que de s'expliquer.
— En quelque sort, ce sont eux oui... J'ai été capturé il y a longtemps, je ne viens pas d'ici, je viens de « là-haut ». Et par plusieurs inventions j'ai tenté de regagner le ciel sans succès... ma dernière tentative a bien failli me tuer. Ceci est la raison de ces marques...
— « Là-haut », c'est Utop, c'est ça ?
— Oui, eh bien...
— Moi aussi je viens d'Utop ! le coupa-t-elle en abaissant elle aussi sa capuche pour s'éclairer doucement à son tour sous la lune.
L'inconnu ne comprit pas le moins du monde ce qu'il était en train de voir. Une Illumineuse ? Ici ? Mais que fait-elle ici ? Il eut presque un moment de recule, le temps d'intégrer l'information, de se dire que c'était bien réel, et non une hallucination.
— Mais qui es-tu ?... demanda-t-il enfin.
— Je suis tombée d'Utop il y a un mois, je veux rentrer chez moi, il faut que vous nous aidiez !
— « Nous » ?
— Aaron et moi, on a besoin de votre aide !
A ce nom, l'inconnu ouvrit de grands yeux dubitatifs, comme si elle délirait complètement, puis il secoua la tête pour reprendre ses esprits :
— Mais enfin comment es-tu tombée ? De quoi est-ce que tu parles ?
— Je vais tout vous raconter mais il faut me promettre de garder le secret...
L'homme hocha la tête, ahuri, avant d'écouter la petite fille parler pendant une bonne heure sous la lune, tous deux à briller d'argent. Elle lui conta tout son périple, depuis sa course dans les champs de colza, la plaine de sel, sa chute depuis Utop, sa rencontre avec Aaron et leur périple jusqu'ici. A chaque anecdote, l'homme faisait une tête de plus en plus choquée et revivait le récit avec elle. Cela semblait presque inespéré qu'ils se rencontrent tous deux un jour.
— Il faut qu'on trouve un moyen de monter dans cette navette sans être vus !
— Je connais les déplacements de ce bateau, il revient dans deux semaines à peu près.
— C'est vrai ?? Alors on va pouvoir rentrer !
— J'en ai bien l'impression oui, il faut que l'on se revoie pour mettre ça en place ! Où loges-tu ?
— A l'auberge de la Belette Rieuse !
Il se leva alors pour s'apprêter à rentrer, en lui serrant chaleureusement la main. Ils revêtirent alors ensemble leur capuche pour ne pas être vus lors de leur retour.
— Je m'appelle Edel, ajouta-t-elle.
— Je m'appelle Icare, répondit-il dans un sourire sincère à demi-levé.
Elle répondit à son sourire par un plus grand encore, et joigna ses mains comme pour canaliser toute l'excitation qui l'envahissait d'avoir peut-être enfin trouvé l'indice à cette éternelle énigme. Sa présence ici n'avait que trop duré, elle avait beaucoup appris mais il était grand temps qu'elle rejoigne sa mère et sa grand-mère au village... Les choses allaient enfin pouvoir avancer.
Puis elle s'éloigna en trottant jusqu'à l'auberge sans se retourner. Ses petits pas s'évanouirent dans la ruelle et elle ne sentit plus la présence de l'Illumineux derrière elle.
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Edel (en pause)
Fantasía« Il y a longtemps maintenant, les Hommes atteignirent le stade critique de l'Humanité et une guerre dénuée d'espoir éclata entre les nations du monde. Ce chaos dura dix ans. Lorsque ce conflit prit fin, un nouvel ordre vit le jour dans l'espoir de...