XVI. 03

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            Il leur avait fallut dix minutes pour arriver à la destination finale. Ils avaient pris des chemins moins fréquentés pour éviter les bouchons matinaux qui avaient drôlement surpris Jungwon, qui ne se doutait pas du monde qu'il pouvait y avoir en grande ville comme celle-ci. En fait il avait entendu, comme tout le monde, les chiffres que représentait la population ici mais pour lui, ça restait des statistiques, des choses inimaginables. Or là, en regardant les gens dans les bus, le nombre de voitures attendant aux feux, à patienter pour passer dans les ronds-points, et surtout en observant de loin les personnes à pieds ou à vélos, il se demandait comment les personnes faisaient pour vivre autant dans un espace qui semblait si réduit et moindre. Déjà que dans son agglomération, il avait l'impression qu'ils étaient plus ou moins serrés, alors ici cela devait être carrément autre chose. Quand il y pensait, il y avait des classes dans son lycée qui dépassaient les vingt-cinq élèves, selon les options et les niveaux, le nombre d'inscrits en seconde cette année avait explosé toutes les autres confondues. Il voyait tous les jours des petits lutins avec des cartables aussi gros qu'eux, et sûrement plus lourd, courir dans les couloirs avec leurs petites jambes pour parcourir les bâtiments et ne pas être en retard. Leurs sacs cubiques devaient très certainement contenir tous leurs manuels pour la journée, n'ayant pas l'habitude des casiers et n'osant pas déposer leurs affaires pour l'après-midi de peur de les oublier pour les cours de treize ou quatorze heures, et l'idée de faire un court arrêt par celui-ci devait leurs faire peur car il ne les avaient jamais vu près d'eux entre deux cours. Il les trouvait aussi mignon que presque ridicule à courir comme des lapins partout, mais est-ce que quand il arriverait à l'université, les troisièmes années de toutes sections n'allaient pas le trouver ridicule aussi ? Il allait sans aucun doute se perdre dans les couloirs, confondre les salles des différents bâtiments qui se ressemblaient tous, arriver en retard parce qu'il avait déjeuné trop tard ou que les transports en commun avaient été bloqué sur la route et qu'il se ferait remarquer en faisait un peu trop de bruit pour rejoindre une place vide en amphi. Rien que l'esquisse de cette pensée le faisait stressé. Comment c'était la vie d'étudiant ? Allait-il pouvoir aisément travailler à temps partiels tout en bossant durement pour obtenir de bonnes notes ? Sa mère ne l'avait même pas rassuré, les fois où ils en parlaient. Elle avait suivi un semestre de cours en grande école avant d'abandonner pour faire autre chose. Elle lui avait avoué, comme si c'était un bon souvenir, qu'elle n'arrivait pas à rejoindre le bout à la fin des mois à cause de son loyer trop cher et de la bouffe plus coûteuse qu'en petite ville, c'était pourquoi quand elle avait arrêté ses études là-bas, qu'elle était revenue ici en chopant un appartement avec son copain de l'école qui l'accompagnait depuis un an déjà, le père de Jungwon.
           Plus petit, le brunet avait demandé à sa maman comment il était, comment s'étaient-ils rencontré et comment se faisait-il que ça se soit si mal fini ? Il lui était arrivé une pauvre et malheureuse fois de demander si l'homme en question aimait Jungwon. Le regard indéchiffrable de sa mère n'avait pas répondu pour elle, parce qu'il était trop jeune pour comprendre. Depuis, il ne lui en parlait plus, il ne voulait pas savoir, parce que ça attristait sa mère qui s'excusait de lui donner une vie sans père et sans référence masculine proche. Il y avait bien les amis de madame Yang qui apparaissaient à différents moments de la croissance du garçon mais ils ne l'avait pas marqué plus que cela. C'était soit des amis fais pendant sa scolarité, à l'époque, soit des connaissances en dehors mais jamais très présent. Maintenant, il leur disait bonjour par politesse mais ne s'attardait pas à leurs dire "vous n'avez pas vieilli d'un poil ! Vous ne faites vraiment pas votre âge", parce qu'il ne se rappelait pas à quoi ils ressemblaient avant. Autant ne pas mentir. Jungwon avait donc prit en exemple ses professeurs depuis la primaire, comment se comportaient les hommes, ce que ça pouvait lui apporter, mais sans plus. Puis, au fur et à mesure du temps, il avait fini par comprendre que n'avoir que sa mère lui était amplement suffisant et que c'était le plus beau cadeau de sa vie depuis qu'il était né. Certes ce n'était pas facile tous les jours et il avait du travailler jeune mais il ne s'en plaignait pas, si ça aidait sa mère alors ça lui allait. Puis il avait la notion de l'argent, des responsabilités et il se sentait plus proche de sa génitrice grâce à cela. Il lui parlait de tout : de ce qui le rendait triste, morose, joyeux, perplexe, ce qui lui faisait peur et ses interrogations. Enfin, de presque tout. Il n'avait jamais abordé le sujet Jay avec elle, même quand le garçon l'avait fait douter au point de le faire rester toute la journée devant la fenêtre à regarder la pluie tomber, de se trimballer comme un zombie en prétextant être fatigué et avoir révisé toute la nuit parce qu'il bloquait sur une notion, alors que ce qui l'empêchait de fermer l'oeil c'était juste ses pensées incessantes.
           Dans la voiture, il avait tourné la tête vers le blond qui avait discuter de tout et de rien avec les deux filles de devant. Jay lui avait dit un jour qu'il ne faisait pas dans la charité après avoir découvert qu'il n'avait pas de père à proprement parlé, et pourtant il était toujours là, son petit doigt enroulé autour de l'annulaire. Qu'est-ce qui l'avait fait changé d'avis ce jour-là ? Qu'est-ce qui l'avait retenu de partir après qu'il soit devenu si froid et distant ? Et en quoi ne pas avoir de père changeait quelque chose ? Il devrait lui demander un jour, mais aujourd'hui ne semblait pas propice à cela et il ne fit que le regarder sourire et rire, ça lui enlevait tous ses tracas intérieur pendant un instant. En entrant sur le parking, il avait fini par tourner son visage vers le sien, croisant son regard brun, et il n'y eut aucune parole, juste un silence et un échange de mots silencieux, puis le blond sourit, ne se doutant de rien. À l'arrêt, il avait abandonné la main du garçon pour sortir de la voiture, Jungwon faisant de même pour tomber sur le même ciel gris plus haut, ce froid contrastant avec le chauffage de la voiture, tant que Martina s'était rué vers un bâtiment, mains contre ses flancs et poussé la porte de son épaule alors qu'elle était entre-ouverte. De taille moyenne et constitué de briques rougeâtres, le bâtiment ressemblait à ancien entrepôt aux apparences abandonnées mais dont les lumières allumées à l'intérieur témoignaient du contraire. Alors c'était ici que le garçon allait faire des photos ? Une camionnette blanche aux allures vieillottes plus loin indiquait qu'il y avait déjà des personnes à l'intérieur. Il se dirigeait donc vers la bâtisse derrière Sarah, accompagnée la valise de Jay, et le blond qui la dépassait de deux têtes. Vu de cet angle, Jay était un titan. Caché dans sa veste, Jungwon entra alors que le blond lui tenait la porte en saluant une personne plus loin derrière un grand écran et un petit clavier dans les mains. L'intérieur était tout aussi impressionnant que l'ambiance extérieur que renvoyait la facade. Des lumières étaient posés près de l'homme derrière l'ordinateur relié au mur derrière lui, les ampoules éclairant le mur vide de présence devant lui, par delà l'informatique. Il y avait sur la gauche, beaucoup plus loin, un grand rideau noir suspendu par une barre de fer fixé dans un angle, de la lumière artificielle en émanait aussi. À l'aise, Jay s'avançait vers l'homme avant de le saluer en lui tapant dans la main, suivit d'une danse entre leurs doigts, signe qu'ils se connaissaient de longue date et qu'ils étaient proche. L'homme grisonnant avait un grand sourire aux lèvres en conversant avec le blond qui venait de croiser ses mains sur son torse en regardant le set prévu pour son shooting du jour.
           Une petite tape sur l'épaule du brun le ramenait à la réalité. Il sursautait légèrement avant de constaté que ce n'était que Sarah qui, avec un petit sourire, l'invitait à le suivre. Il ne se fit pas prier, l'idée de rester planté au milieu comme une plante verte ne l'enchantait guère et il préférait suivre le mouvement.

Juste une raison              -- JayWonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant