Observation

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De la pluie et encore de la pluie. Ça ne s'arrête plus.

Si on n'habitait pas à Beaufort, une ville totalement banale au milieu des États-Unis, on aurait pu se croire sur une île tropicale.

À la télé aussi ils parlent de la pluie. Ou alors ils diffusent des émissions ou des films que j'ai déjà vu.

Je me demande ce que fait M. Harrison de ses journées, lui qui est tout seul. Un peu comme moi en ce moment. 

Et les autres personnes qui sont dans la même situation que nous. Ou même celles qui se trouvent en ce moment même dans mon hôpital ?

Je m'installe à côté de la fenêtre, sur les coussins qui la bordent. C'est confortable.

J'étudie le paysage du regard. Notre jardin de fleurs, face à la grande allée goudronnée. 

Chez le voisin d'en face, les volets fermés et l'herbe haute me font penser que les propriétaires se sont absentés. Sont-ils en vacances, au travail ?

Est-ce que je les connais ? Après tout, M. Harrison n'avait pas l'air de me connaître.

Quand j'ai nettoyé le garage, je n'ai trouvé aucun album, aucune photo, de mon mariage. Elles sont peut-être ailleurs ?

Je laisse mes pensées divaguer, mes questions se bousculer dans ma tête. Le temps passe un peu plus vite, même si je n'ai pas de réponse ou d'image à leur apporter.

Je ferme mes yeux. Ma respiration ralentit. Je m'endors, ma tête contre le carreau froid de la vitre, sous le son de la pluie qui tombe et qui me berce.

~~~

Un bruit me réveille. J'ouvre les yeux mais les ferme presque aussitôt, la lumière du jour est plus brillante qu'avant.

Une fois que je m'y suis habituée, je me rappelle où je suis. Mais je regrette de m'être endormie près de la fenêtre, dans une position inconfortable. Je sens les courbatures arriver.

Je devais vraiment avoir sommeil...

Ah oui, le bruit qui m'a réveillée. Qu'est-ce que c'était ? Je me penche vers la fenêtre.

C'est pratique que les vitres de ma maison soient fumées, je peux voir depuis l'intérieur mais personne ne me voit depuis l'extérieur.

Je crois que le voisin d'en face est revenu, sa camionnette est garée dans l'allée centrale. Un homme en sort.

Je le vois de loin mais je perçois tout de même sa tenue, un peu extravagante à mon goût. Il porte une combinaison blanche, comme celle d'un cosmonaute.

Il fait le tour de son véhicule et ouvre les deux portes à l'arrière. Il rentre.

Quelques secondes passent, il en ressort, avec deux mallettes qui semblent assez lourdes. Je me demande ce qu'elles contiennent.

Je continue de le regarder alors qu'il fait plusieurs allers-retours, jusqu'à ce que sa camionnette soit déchargée. Il s'en approche une fois de plus mais cette fois il ferme les portes.

Il rentre chez lui, ferme la porte. Il n'en ressort plus.

~~~

Les volets de la maison d'en face restent fermés. L'homme n'est pas ressorti. 

Quel drôle de personnage peut bien se cacher derrière une combinaison et agir ainsi ? Peut-être que c'est pour ça qu'Aden ne m'a pas parlé de ce voisin. 

Est-ce que je devrais l'appeler ? Non. Je ne vais pas le déranger alors qu'il travaille, je lui demanderai plus tard.

Le temps continue de passer, je ne bouge pas d'un pouce. Je suis tellement concentrée sur ma tâche que mes yeux me piquent. 

Toujours rien. Je pourrais probablement faire une pause ? Je m'étire.

Je n'ai pas fait attention mais la pluie s'est arrêtée. Les sols ont commencé à sécher, faisant élever de la vapeur d'eau dans l'air.

Je lève la tête. Le soleil brille encore intensément malgré la pluie de ces derniers jours, ainsi que l'heure tardive. 

Aden ne risque pas de rentrer pour l'instant et je n'ai rien à faire. Je peux prendre l'air.

Je regarde en direction du voisin d'en face. Toujours rien.

Sans savoir pourquoi, je me lève et ouvre la porte d'entrée. J'ai une vue directe sur la maison du cosmonaute.

Je me rapproche lentement et me cache derrière le seul arbre de notre terrain.

Le bas de ma robe longue s'élève légèrement, je la retiens comme pour me faire discrète. Mon coeur bat à toute allure. Je dois me rapprocher encore.

Je lève difficilement mes jambes. L'une après l'autre, pas à pas. Pourquoi est-ce que je me sens comme ça ? Paralysée mais rongée par l'envie d'avancer.

Une branche craque derrière moi. Je me retourne en sursautant.

- Oh, je ne vous avais pas vu. Bonjour Raphaelle.

- M. Harrison ? Ah ! Bonjour !

- Faîtes attention, vous êtes au milieu de la route, m'avertit-il en pointant la voie routière du bout de sa canne.

- Ah, oui... Je...

Qu'est-ce je vais lui dire exactement ? Moi-même je ne sais pas !

- Le vent se lève. Je devrais peut-être rentrer, fit-il remarquer comme si de rien n'était.

- Je crois que je vais rentrer aussi ! J'ai oublié les gâteaux dans le four ! Bonne journée M. Harrison !

- Merci. Passez une bonne fin d'après-midi également.

Je fais demi-tour et regagne rapidement l'intérieur. 

Qu'est-ce qui m'a pris ! Je n'ai même pas de gâteaux mais je voulais juste... Rah je ne sais pas ! Il m'a surprise, et...

Mais pourquoi je ne l'ai pas entendu venir ? Sa canne ne devrait-elle pas se faire entendre lorsqu'il marche avec ?

C'est quand même étrange, j'ai un drôle de pressentiment.

Aeternus et Umquam - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant