CHAPITRE XX - JULIAN

998 79 43
                                    

Le quitter fût ma plus grande douleur. J'ai regardé Wyatt dormir durant de longues minutes avant de m'extirper du lit dans lequel nous sommes restés jusqu'à l'aube. C'est incroyable, malgré sa réputation et ses vices, il n'a jamais eu un geste déplacé déclarant qu'il voulait aller plus loin. Simplement des baisers, juste ses lèvres contre les miennes, contre mon front ou sur le bout de mon nez. L'obscurité m'a empêché de lui montrer à quel point mes yeux pouvaient briller en étant à ses côtés.

Et maintenant ?

Parfois, la vie est capable de changer en une fraction de seconde. On se prend au jeu du destin, nous imaginons, trop sûrs de nous, que nos chemins sont tracés. Mais non, chers amis. Non, la vie nous réserve bien des surprises pour lesquelles il semble impossible d'être préparé. Aujourd'hui, alors que je retourne à mon église, je ne ressens plus la même euphorie qu'hier. Mon amour pour Dieu n'a pas changé et ne changera jamais, j'en suis intimement persuadé, mais puisque ma nuit fut chargée d'émotions, je me rends tristement compte que, de temps à autre, vos envies et convictions peuvent s'envoler afin de laisser place à une nouvelle génération. Ça doit être la raison pour laquelle j'angoisse à la simple idée d'être ici, de ne plus être maître de moi-même.

Cependant, lorsque je rejoins ma cellule et me prépare à recevoir mes paroissiens, une pointe de joie m'anime. C'est à peu près tout ce que je connais, les seules choses que je maîtrise. Être ici, aux côtés de Dieu, me donne l'impression de ne pas être quelqu'un de si mauvais. Pourtant, mon dos est parsemé de traces qui pourraient me rappeler que je suis un homme comme les autres, rempli de vices et de pensées impures. Mais pour une fois, je n'ai pas envie d'y retourner. Je ne veux pas sentir le froid du cuir me flageller la peau comme s'il était tout à fait normal de se déchirer dans le but d'oublier ce qu'on ressent. Pire, ce que nous sommes réellement !

Ça n'a pas marché, n'est-ce pas ?

Me faire saigner jusqu'à l'évanouissement ne m'a pas aidé à oublier Wyatt. Il est toujours présent en moi, comme si une partie de lui m'avait envoûté. Encore maintenant, à quelques minutes de la messe, je ne pense qu'à lui. Je ne pense qu'à le voir et fuir ce qui me retient ici. Une sorte d'utopie, de rêve impossible qui nous tient en éveil. Je voudrais, bien évidemment, être différent, mais mon cerveau campe sur ses positions. J'ai été drillé à tout ça. Ne pas penser, ne pas être charmé, ne pas laisser le diable entrer dans ma vie... ce sont des ordres auxquels j'obéis aveuglement afin d'éviter de me retrouver de nouveau à l'hôpital. Afin de ne pas me retrouver traumatisé, parce que j'en meurs tous les jours un peu plus, je vois de nouveau mon bourreau, j'entends ses mots et me rend compte qu'il n'y a rien de plus difficile qu'oublier.

Alors, comment oublier Wyatt Moore ?

Plus rien n'a le goût d'avant. J'ai donné quelques passages de la bible à mes paroissiens, les ai écouté parce qu'ils en avaient besoin et j'ai même souris en me rendant soudainement compte qu'il n'y avait pas plus faux que mon visage. Mon cerveau était ailleurs, perdu dans les méandres du temps et chaque battement de cils me ramenait à la nuit dernière. Entre hier et aujourd'hui, quelque chose a changé. Mon cœur est affolé en permanence et, plus que la douleur, sentir mon cœur se serrer à chaque seconde est un véritable supplice. Durant mes années professionnelles, j'ai fait face à de pauvres âmes perverties par la drogue, qui ne savaient que faire pour s'en débarrasser et me demandaient l'absolution. Aujourd'hui, alors que la chaleur envahit ma peau, qu'ensuite les sueurs froides glissent jusqu'à mes reins, je me rends compte qu'il n'y a pas vraiment de remède contre l'addiction, et que Dieu lui-même n'a pas le pouvoir de vous empêcher de vouloir. La seule chose dont j'ai besoin en ce moment, c'est de le voir. L'avoir. Mais il est hors de question que je trépasse face à cette pensée, cette envie dévorante. Je n'ai qu'à patienter durant quelques jours et attendre mon propre bon-vouloir pour me sentir débarrassé de toutes tentations.

GOOD BOYS GO TO HELLOù les histoires vivent. Découvrez maintenant