Éros revient peut-être une heure après son départ. Pendant cette absence, j'ai eu le temps d'explorer la grotte. Elle est très courte, ce qui est un avantage considérable en matière de sécurité. Le risque de se faire attaquer peut uniquement venir de l'entrée de la grotte. Le prince est revenu avec du bois sec qu'il a immédiatement mis dans le feu, car ce dernier était en train de mourir. Il a également ramené un lapin, ce dont je lui suis reconnaissante parce que je commençais à mourir de faim. Pour cacher ma gêne, je lui propose de dépiauter le lapin, ce qu'il accepte. Il me regarde faire et un blanc s'installe entre nous. Je suppose qu'il a remarqué mon trouble de tout à l'heure, c'est pourquoi je m'applique à ne pas le regarder de peur de rougir. Je me concentre en me répétant intérieurement les gestes à effectuer. Tirer la peau de la cage thoracique puis de la tête en ayant coupé les oreilles au préalable, etc. Quand j'ai fini, je place la bête sur un bout de bois qu'Éros a taillé en pic afin de la faire cuire. Je le place au-dessus du feu et le fais cuire. Grâce à mon père et Léandre qui m'ont emmené camper sans rien d'autre qu'un canif, je sais me débrouiller seule en pleine nature. Même si ce n'était pas une forêt ensorcelée dans laquelle peuvent vivre des créatures effrayantes. Quand j'évalue que la cuisson du lapin est adéquate, je prends un morceau et le tends au prince. Il m'imite et nous dégustons ce repas dans le silence le plus complet uniquement coupé par le cri de certaines créatures nocturnes. À la fin de ce repas, je ramasse les restes du lapin et me lève. Éros se décide enfin à prendre la parole en me voyant me diriger vers l'entrée.
- Que faites-vous ?
- Je me débarrasse de ça.
Je désigne les restes dans ma main et poursuis :
- Si l'on garde ça avec nous, il y a un risque d'attirer les charognards.
Il hoche la tête et se lève à son tour. Je le regarde avancer vers moi et me dépasser et il me lance :
- Je ne vous laisserai pas vous promener seule en pleine nuit dans cette forêt.
Quand je sors alors de la grotte, je suis frappée par la beauté de la forêt de nuit. Le concept de forêt où vivent les créatures magiques prend tout son sens. Elle est lumineuse, c'est comme si l'écorce des arbres, la mousse et le reste des végétaux prenaient vie sous mes yeux. Ils brillent littéralement et de petites lucioles bleues évoluent lentement dans l'espace. Je ne peux retenir un sourire devant l'éclat que la nuit prodigue à la forêt. Éros me dit à voix basse :
- Certains mythes disent que la forêt d'Ocaranost serait le berceau de la magie et la base de nos aptitudes.
Maintenant qu'il le dit, ça parait évident, c'est l'endroit le plus incroyable que j'ai pu voir à ce jour. Je décide de ne pas trop m'écarter de la grotte pour pouvoir la retrouver facilement et me mets à creuser un trou avec l'une de mes dagues. Éros quant à lui prend son rôle de garde du corps au sérieux, car il épie le moindre mouvement extérieur. Malgré la beauté du lieu, il est sur ses gardes ce qui me motive à accélérer.
Sur le retour vers la grotte, j'entends un bruit sur notre gauche alors je tourne vivement la tête, Éros a déjà fait apparaitre ses armes en main. Mais ce qui se présenta à nos yeux est extraordinaire, c'est un cerf qui luit d'une lumière blanche dans la nuit. Je pose une main sur l'avant-bras de mon compagnon pour qu'il baisse ses armes. Le cerf nous observe quelques minutes avant de rebrousser chemin sans se presser. Un souvenir se rappelle à moi et j'en fais part à Éros :
- Mes parents m'ont toujours dit que la rencontre avec un cerf est le signe que notre esprit est bienveillant et compatissant et qu'il représente à lui seul la douceur, la paix et l'amour inconditionnel. Je garde ça dans ma maison des souvenirs.
Je me rends compte de ce que je viens de dire alors rajoute :
- Enfin, c'est un truc débile que je disais quand j'étais enfant, c'est assez gênant de l'avoir révélé à voix haute.
Je m'attends à des rires et une remarque sarcastique, mais il me regarde et je ne lis aucune moquerie. Il laisse tomber ses armes qui se volatilisent en fumée rouge et me dit :
- Je ne trouve pas ça débile, c'est même assez mignon.
Je suis surprise par la douceur de sa voix, il ne m'avait pas encore montré cette sensibilité. Je me dis qu'il ne la montre pas parce que c'est un guerrier qui va devenir roi un jour. Il reprend :
- Parlez-moi de vos parents ?
Cette phrase me surprend de plus belle, mais je hoche la tête, continue ma route vers la grotte et dis :
- Ils sont fabuleux. Ils sont éperdus l'un de l'autre. Ils avaient pour habitude de dire que mon frère, ma sœur et moi sommes leurs plus précieux trésors.
Un sourire triste se dessine sur mes lèvres.
- Le fait de nous voir partir un par un les détruit à petit feu sans qu'ils osent l'avouer, mais je l'ai bien vu après le départ de Léandre.
- Oui, mais ce n'est pas un adieu, vous pourrez rentrer chez vous après service rendu au royaume.
Je lui lance un regard éberlué, soit il ne sait pas que ma vie appartient au roi à présent, soit il l'a oublié. Je lui rappelle violemment :
- Je n'ai pas voix au chapitre grâce à votre père.
J'aperçois la grotte et la légère lueur du feu à l'intérieur alors que je presse le pas pour échapper aux souvenirs désagréables qui me submergent. Le prince m'attrape le bras et me retourne pour que je m'arrête, il a l'air perdu. Ses yeux passent de gauche à droite comme s'il essayait de reconstituer les pièces du puzzle, mais en vain. Alors il m'annonce :
- Pourquoi n'avez-vous pas voix au chapitre ?
Le fait qu'il l'ignore m'énerve plus que ça ne devrait être le cas. Je décide alors de me présenter en bonne et due forme après tant de jours passés en sa compagnie.
- Parce que je suis Hestia Le Gall, fille d'Isidor Le Gall et de Maïa Visseau, l'ex-fiancée de votre père.
Son visage se décompose sous le choc. J'avais jugé qu'en tant que prince il était au courant de ma condition de prisonnière de cette vie. Sa mine étonnée me donne envie de lui prodiguer plus d'informations.
- C'est la punition de mes parents, perdre chacun de leurs enfants petit à petit pour leur crime. Léandre et moi sommes tenus de travailler au palais pour le restant de nos jours.
Moi qui pensais être la seule personne à qui l'on avait caché des informations capitales dans mon enfance, je me suis bien trompée parce qu'il me demande :
- Mais pour quel crime au juste ?
- Celui de s'aimer. Mes parents sont tombés amoureux l'un de l'autre alors que ma mère était fiancée à votre père alors ils se sont enfuis et cachés pendant presque 30 ans.
Je ne l'avais jamais vu aussi perdu qu'à ce jour.
- Je ... ne savais pas. Léandre ne m'en a jamais parlé et mon père non plus.
- Ce qui est fait est fait, je me suis résignée à ce destin et je donnerais ma vie pour le royaume afin que mes parents puissent vivre libres.
- Est-ce que vous réalisez à quel point cette phrase est désolante ?
Une larme s'échappe et roule sur ma joue, je l'essuie prestement. C'est la première larme qui coule depuis le jour de mes vingt ans. Je m'apprête à annoncer que nous devrions aller dormir quand Éros m'attrape par les mains, me tire vers lui et me prend dans ses bras. Je suis stupéfaite, mais décide de m'écouter pour une fois et de profiter de ce bref instant, alors je me laisse aller contre lui.
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Le Joyau de Nostraria
FantasíaDans le royaume de Nostraria, à leurs 20 ans les jeunes gens voient leurs pouvoirs se développer, alors ils doivent réaliser un service militaire de 5 années en tant que gardes royaux. Hestia est une jeune femme qui a vécu exilée avec sa famille dep...