- SCÈNE 7 -

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(Kyra, David, Estelle, Marianne, Valerie)

   Sharon refuse toujours d'accorder sa confiance à quiconque.
   Son état continue de se dégrader : elle maigrit à vue d'œil, n'ayant désormais plus que la peau sur les os.
   La discussion amorcée par Dolores n'a rien donné.
   10:00. Estelle & Kyra empruntent un couloir, au détour duquel elles se retrouvent nez-à-nez avec David. Il les arrête & entraîne Kyra par le bras, dans un coin à l'abri des oreilles indiscrètes.
   Estelle les suit.
   Kyra reste impassible, le visage fermé, les muscles verrouillés, prête à se défendre si nécessaire.

DAVID. – J'espère que tu ne la crois pas. Elle ment comme elle respire.
KYRA. – Je vous demande pardon ?
DAVID. – Tu sais très bien de quoi je parle, arrête de me prendre pour un con.
KYRA. – Sauf votre respect, non, je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
DAVID. – Ok. Tu veux qu'on la joue comme ça ? On va la jouer comme ça. Kyra, je te le dirai qu'une fois : ne fais pas la maline avec moi. Mêle-toi de ce qui te regarde.
KYRA. – Ouais, c'est ça. A bon entendeur, hein ?...

   La jeune femme se dégage brusquement de son emprise & rejoint son amie.
   Elles partent rapidement, dans un silence pesant, qu'Estelle rompt, une dizaine de mètres plus loin.

ESTELLE. – Tu... tu sais, tu devrais peut-être l'écouter...

   Plus qu'ahurie, Kyra se retourne brusquement.

KYRA. – Tu te fous de moi, j'espère ?!
ESTELLE. – C'est loin d'être contre toi, tu le sais bien... Mais j'ai vraiment peur que tu dépasses les bornes... Si madame Sherbakova ne veut pas parler, personne ne pourra la forcer. Je pense que tu ne devrais pas t'immiscer comme tu le fais. Tu t'impliques trop & tu t'acharnes pour rien. C'est ta prof, tu es son élève...
KYRA. – Estelle, mais tu te rends compte de ce que tu dis ?! C'est pas qu'elle ne veut pas parler, c'est qu'il l'en empêche ! Elle ne peut pas ! Si je t'écoutais, tu voudrais qu'on la laisse crever ? C'est ça que tu veux ?!...
ESTELLE. – Non, bien sûr que non. Kyra, je dis seulement que tu te fais peut-être un peu trop de films.
KYRA. – Putain, mais on parle de violences conjugales, là ! Je peux pas fermer les yeux & la laisser subir ça jusqu'à ce qu'il soit trop tard, jusqu'à ce que mort s'ensuive ! Estelle, je... j'ai besoin que tu fasses un choix : est-ce que t'es avec moi, sur ce coup-là ?...
ESTELLE. – Je suis désolée, sincèrement... Mais non. Je ne veux pas m'attirer des ennuis en me mêlant de leur vie privée.
KYRA. – Très bien, je comprends. Maintenant, je veux juste que tu me promettes une chose : ne... ne m'empêche pas de la sortir de là.
ESTELLE. – Promis. Je ne t'empêcherais jamais d'essayer de l'aider. Je choisis juste de ne pas prendre part à ce combat.

   La journée passe.
   Kyra rentre chez elle, préoccupée par la situation.
   Marianne est dans la cuisine, les mains plongées dans un saladier.

KYRA. – Salut.
MARIANNE. – Coucou, ça va ma puce ?
KYRA. – Ouais, bof...
MARIANNE. – Il... il s'est passé quelque chose ? Tu veux en parler ?
KYRA. – Non, c'est bon. Maman, la journée a juste été compliquée. Il... il faut que j'appelle Valerie.
MARIANNE. – Pourquoi ?
KYRA. – Je dois lui parler.

   Sans fournir plus d'explications, Kyra saisit son téléphone & gagne sa chambre.
   Blottie au coin de son lit, elle remonte sa couette sur ses genoux, attendant que Valerie réponde.

VALERIE. – Allô ?
KYRA. – Val, c'est moi...
VALERIE. – Ah, coucou. Tu vas bien ?...
KYRA. – Non, pas trop... Il faut que je te parle...
VALERIE. – Dis-moi, je t'écoute.
KYRA. – C'est madame Sherbakova... J'avais raison : son mari la bat...
VALERIE. – Oh merde... Elle... elle te l'a dit ?
KYRA. – Non... Enfin si, mais... C'est compliqué. Disons que son attitude l'a trahie, & qu'il s'est passé des choses... Bref, je suis sûre de ce que je dis. Dolores a essayé de lui parler aussi, mais ça n'a rien donné. Je me sens mal... Je... je me sens mal d'être bien au chaud dans mon lit quand je me doute que, de son côté, elle est probablement en train de se prendre des coups, ou de se faire violer, ou les deux...
VALERIE. – Kyra, t'y peux rien...
KYRA. – Je sais. C'est ça qui me rend folle.

   Long silence au bout du fil.

KYRA. – Valerie ? T'es toujours là ?
VALERIE. – Oui, oui. Je suis là... Je sais pas quoi te dire, en fait...
KYRA. – Il faut absolument qu'on trouve un moyen de la sortir de là... Je... je peux pas la laisser se faire tuer petit à petit sans réagir... Elle va y passer...
VALERIE. – ... Tu en as parlé avec ta mère ?
KYRA. – Non. C'est pas la peine : elle va dire que je me fais des films... Comme tout le monde, au final...
VALERIE. – Kyra, moi, je te crois... Je sais que tu n'es pas du genre à te faire des films... Tu es sensible &, de fait, très clairvoyante. Ecoute... Tu vas essayer de retourner voir ta prof, aussi régulièrement qu'il le faudra... Tu lui diras que tu es là, qu'elle peut te faire confiance, que quoi qu'elle te dise, tu l'écouteras & la croiras... Si elle veut s'en sortir, il est impératif qu'elle parle à quelqu'un... A toi, ou à n'importe qui d'autre, mais il faut qu'elle fasse cette démarche d'elle-même. Est-ce que, toi, tu te sens capable de l'y pousser ? Parce que, soyons franches, Kyra : tu risques de te retrouver entraînée dans quelque chose de psychologiquement très dur... Tu as le droit de déléguer...
KYRA. – Oui... Je... je crois que je peux gérer. Je peux m'en occuper... Je sais qu'elle me fait confiance. Du moins qu'elle ne se braque pas complètement, en face de moi.
VALERIE. – Ok. C'est déjà très bien.
KYRA. – Merci pour tout ce que tu me dis, Valerie... T'imagines pas à quel point ça m'aide... Merci de me croire...
VALERIE. – Kyra, pourquoi je ne te croirais pas ?
KYRA. – Je... j'en sais rien...
VALERIE. – Allez, courage ma puce, ça ira... Elle sait que tu es là pour elle...
KYRA. – Tu sais, elle... elle est quand même très entêtée... Je sais que ça ne va pas être facile... Enfin bref. Je te tiendrai au courant...
VALERIE. – Bien sûr, on fait ça. En attendant, essaie de te reposer, ma chérie... Tu en as besoin.
KYRA. – Oui... Bisous, & merci encore...
VALERIE. – Je t'en prie, c'est normal. On se donne des nouvelles bientôt...

   Elles raccrochent.

L'Etau de mon âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant