- SCÈNE 21 -

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(Sharon, Kyra, Marianne, Estelle)

   Une fois sûre que Sharon somnole, Kyra se relève lentement & quitte la chambre.
   Elle rejoint Marianne dans la cuisine, prête à lui fournir les explications tant attendues.

KYRA. – Maman ?...
MARIANNE. – Ah, chérie. Dis-moi. Ça va ?
KYRA. – Ouais... Bon, assieds-toi, je vais t'expliquer.
MARIANNE. – Ok, je t'écoute.

   Elle tire un des sièges jusqu'alors accotés au plan de travail & s'y assoit, regardant attentivement sa fille.
   Kyra se tient en face d'elle, debout, bras croisés.

KYRA, soupirant. – Bon, écoute, je vais pas faire dans la dentelle... Son mari la battait.
MARIANNE. – Oh la vache !... Comment... comment tu as su ?
KYRA. – Elle était pas comme d'habitude... & puis elle avait des traces. Qu'elle cachait ma foi très bien, mais... je la connaissais assez pour me rendre compte qu'il se passait quelque chose. Personne n'avait remarqué, alors j'ai fini par essayer d'en parler avec elle directement.
MARIANNE. - & elle t'a tout dit, comme ça, de but en blanc ?
KYRA. – Tu te doutes bien que non... Elle a eu beaucoup de mal à me faire confiance, mais je crois qu'au bout d'un moment, elle s'est rendu compte que si elle voulait s'en sortir vivante, j'étais son seul espoir. Tu sais, ce qu'elle vivait, elle ne me l'a dit qu'à demi-mot. Elle avait peur de se confier, même à moi... & finalement, le jour de la JPO, elle a fini par tout me dire. Je l'ai poussée à parler à la police. Après ça, son mari n'avait plus rien à perdre : s'il l'avait retrouvée, s'il avait pu la tuer ce soir-là, crois-moi, il l'aurait fait. Alors je lui ai dit de venir ici. Enfin, je l'ai obligée à venir ici. J'ai appelé sa sœur et Valerie, et on est restées toutes les quatre ensemble pendant une bonne partie des vacances. Son mari a été placé en détention provisoire, donc elle a pu rentrer chez elle quelque temps. Il a été libéré, ce matin... A la fin de notre cours, elle s'est effondrée. Je pouvais pas la laisser seule, tu comprends ?
MARIANNE. – Mon Dieu, Kyra, mais c'est affreux... Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?
KYRA. – Je... j'en sais rien, Maman...

   Marianne soupire, sa fille reste muette.
   Lourd silence.

KYRA. – Peut-être parce que je me suis dit que, depuis la Pologne, tu ne pouvais de toute façon rien faire. Peut-être parce que c'était moi que ça regardait... Tu m'as toujours dit d'affronter toutes les situations par moi-même, de ne dépendre de personne, de savoir me débrouiller pour trouver des solutions... Alors voilà. Je crois que j'ai jamais aussi bien appliqué tes conseils.
MARIANNE. – Kyra... C'était pas ton rôle, là... Il s'agit de ta prof...
KYRA. – Maman... S'il te plaît, j'ai besoin que tu comprennes ça : Sharon... Sharon est devenue plus qu'une amie. Elle ne va pas bien &... & elle n'a que moi... Je t'en supplie, dis-moi que tu comprends...
MARIANNE. – Non... Je suis navrée, Kyra, je ne comprends pas... Je n'arrive pas à comprendre comment vous pouvez être si proche, comment est-ce qu'elle peut t'accorder une confiance aussi aveugle...
KYRA. – Mais parce que j'étais là au moment où elle n'avait plus personne, parce que j'ai su interpréter les silences quand tout le monde les ignorait, parce que j'ai été pendant un moment la première & la seule à savoir. Je l'ai considérée quand il la méprisait... Je... je l'ai aimée quand il la haïssait.

   Ce qui lie Kyra à Sharon, Marianne ne le comprendra sans doute jamais...
   Le silence pesant est alors rompu : un téléphone vibre. Estelle.

KYRA. – Allô.
ESTELLE. – Kyra, je peux passer te donner les maths que t'as loupées ?
KYRA. – Ouais, je veux bien, si ça t'embête pas.
ESTELLE. – Pas de souci. Bah j'arrive, du coup.
KYRA. – Ok, super. En arrivant, entre directement, ne sonne pas.
ESTELLE. – Ça marche, à tout.

L'Etau de mon âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant