L'Etau de mon âme

- SCÈNE 10 -

(Kyra, Sharon, Valerie, Marianne)

   Kyra frappe doucement à la porte de la salle 130.
   Elle trouve Sharon en train de rassembler ses affaires avant de partir.
   Tremblante comme une feuille, elle fait des efforts considérables pour perdre le plus de temps possible tout en donnant l'impression de se dépêcher.

KYRA. – Vous rentrez chez vous ?
SHARON, glaciale, sans même la regarder. – Où veux-tu que j'aille ?

   Son attitude lui fait froid dans le dos.
   Sa voix a changé : l'infime once d'espoir qui y demeurait jusqu'alors s'est éteinte. Face à la promesse d'une mort prochaine, Sharon semble avoir abandonné, avoir baissé les bras, avoir cessé de se battre...
   Si d'aventure elle rentre chez elle ce soir, elle va y passer, & elle le sait.

KYRA. – Il va vous tuer. Vous le savez très bien...
SHARON, amère. – Je me suis faite à l'idée.
KYRA. – Ok, stop. Arrêtez. Arrêtez ça tout de suite. Il est hors de question que je vous laisse rentrer chez vous. Il est hors de question que je vous laisse y aller pour vous faire tabasser jusqu'à ce que mort s'ensuive. Vous ne mourrez pas ce soir. On rentre ensemble. Vous resterez chez moi aussi longtemps qu'il le faudra.
SHARON, sur la défensive. – Tu n'as pas à faire ça pour moi. Tu en as déjà assez fait comme ça.
KYRA. – Alors quoi ? Je vous laisse crever ? Merde, madame ! Si j'ai fait tout ce que j'ai fait pour vous, c'est bien parce que je tiens à vous. Alors je ne vais pas vous lâcher au moment où vous avez le plus besoin d'aide. Personne ne m'a forcée à faire tout ça... C'est seulement que vous êtes quelqu'un que je ne supporterais pas de perdre. Quoi qu'il arrive, je ne vous laisserai pas sortir d'ici tant que je n'aurai pas la certitude que vous ne retournerez pas chez vous.

   Le silence se fait long & pesant.
   Kyra toise son enseignante tandis que ses yeux s'emplissent de sanglots.
   Après quelques instants encore, Sharon se lève & s'approche de Kyra.
   Elle fond en larmes & l'enlace étroitement contre elle.

SHARON, la voix brisée par l'émotion. – Me... merci...
KYRA. – Je suis là... Ça va aller...

   La détresse & le soulagement ont rompu les digues. Kyra n'a jamais vu son enseignante ainsi...
   Arrivées chez la jeune femme, celle-ci précède Sharon, puis ferme la porte à clefs derrière elles.
   L'enseignante semble à la fois sur le qui-vive, en hypervigilance, & totalement épuisée & à bout de forces.
   Du fait de toute la tension accumulée, elle ne s'est pas reposée depuis une éternité.

SHARON. – Kyra, qu'est-ce qu'on fait si David vient ici ? Qu'est-ce qu'on fait s'il s'en prend à toi ? à nous ?...
KYRA. – Ecoutez, ne pensez pas à ça... Je vais demander à ma tante de venir. Faites-moi confiance, on sera en sécurité.

   La jeune femme a conscience qu'elles ne le sont actuellement pas...

KYRA. – Asseyez-vous, faites comme chez vous... Vous devez vous reposer, essayer d'oublier un peu tout ça... Il faut que vous récupériez.

   Sharon s'assoit timidement.
   La voyant greloter, Kyra lui sors un plaid.
   Après quelques instants passés dans une atmosphère pesante, l'enseignante est submergée.
   La jeune femme s'assoit à ses côtés.
   Son genoux touche celui de Sharon : contact anodin, mais qui peut néanmoins la rassurer un peu.

KYRA. – Regardez-moi... Ça va aller. C'est fini. Les coups, les viols, tout ça... c'est terminé... Je sais au combien vous avez peur, mais je vous donne ma parole : tout ira bien, maintenant. Je vais faire tout ce que je peux pour vous aider...