- SCÈNE 15 -

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(Sharon, Anne, Kyra, Valerie)

   Pâle, Sharon tire discrètement une chaise & s'y assoit, fixant le vide.
   Anne est à sa droite.

ANNE, glissant la main dans celle de sa sœur. – Ma Shasha...
KYRA, désignant la table d'un léger coup de menton. – Dites-moi : vous voulez quoi ?
SHARON. – Je... j'ai pas faim...
ANNE. – Je t'en prie, il faut que tu manges... Sharon, regarde-toi : tu es si faible, si maigre... Tu as besoin de reprendre des forces, c'est urgent...
SHARON. – Je ne suis pas maigre. Je suis fine...
KYRA, soupirant. – ... Sharon, elle a raison : vous êtes vraiment maigre...
SHARON. – Kyra...
KYRA. – Je suis désolée. Je vais être blessante & je m'en excuse d'avance, mais je veux que vous réalisiez... Vous faites peine à voir.
VALERIE. – Vu les circonstances, c'est normal... Mais enfin, Kyra n'a pas tort.
KYRA. – Je dis ça pour vous faire prendre conscience de la situation, pour que vous vous rendiez compte de la réalité : vous n'êtes plus que l'ombre de vous-même... Il faut que vous acceptiez de vous remettre un peu d'aplomb, sinon, rendez-vous à l'évidence : votre état n'ira pas en s'améliorant.

   Anne serre sa main un peu plus fort alors que Sharon fuit leurs regards.
   Un téléphone sonne, rompant le lourd silence qui régnait jusqu'alors.
   Anne décroche.

ANNE. – Excusez-moi, c'est le boulot ; je dois répondre... Allô ?

   Elle s'éclipse, les laissant seules dans la cuisine.

KYRA. – ... Ecoutez, je ne vais pas vous forcer... mais vous êtes sûre de ne rien vouloir ?...
SHARON. – Oui.
KYRA. – Même pas un peu de café ?
SHARON. – Non. Merci...
KYRA. – D'accord...

   L'enseignante cherche cette fois le regard de son amie alors que le sien s'embue.

VALERIE. – ... Sharon, je vous ai trouvé un rendez-vous avec Katerina Dickens à 11:30. Vous serez entre de bonnes mains, c'est promis. Je vous donne ma parole, elle ne vous fera aucun mal. Elle est spécialisée dans la prise en charge de femme dans votre cas.
SHARON, amère. – De femmes victimes de leurs enfoirés de maris...

   Ne parvenant plus à contenir ses larmes, elle s'effondre.
   Kyra prend aussitôt la place laissée vacante par Anne & saisit la main de Sharon, plongeant ses yeux dans les siens.

KYRA. – Ça va aller. Regardez-moi... Je suis là, tout ira bien, Sharon.
VALERIE. – Vous êtes en sécurité, Sharon, ne vous en faites pas. Vous avez le droit de vous effondrer, de vider votre sac... On est là pour ça aussi...
SHARON. – ... J'en ai marre. J'en ai tellement marre. Je voudrais mourir, Kyra...

   Décontenancée par la violences de ces propos, par la douleur & la souffrance dont ils sont empreints, Kyra croise le regard de Valerie & encaisse le coup.

KYRA. – Je vous en prie, ne dites pas ça. Je sais qu'il y a des jours comme ça, des jours où l'on veut tout arrêter, tout lâcher... J'ai conscience que ces jours se sont changés en semaines, en mois, pour vous. Mais vous devez survivre, vous devez vous battre pour ça, s'il vous plaît... Je sais que vous vous sentez incapable de le faire pour vous-même, alors... pour le moment, faites ça pour nous. Survivez pour nous, pour les gens qui tiennent à vous...
SHARON. – Pour les gens qui tiennent à moi ? Vraiment, Kyra ? La liste est courte.
KYRA. – Merde, mais vous vous foutez de moi ?! Je sais que votre connard de mari vous a fait croire que vous ne valiez rien, qu'il vous a critiquée, rabaissée tant est plus, mais croyez-moi : vous n'êtes pas une moins-que-rien, loin de là. & vous croyez qu'Anne ne tient pas à vous ? que Dolores ne tient pas à vous ? que moi, je ne tiens pas à vous ?
SHARON. – Pourquoi tu tiendrais à moi ?...
KYRA. – Parce que je me suis attachée. Pour tout un tas de raisons que vous ignorez pour le moment... Je tiens à vous.

   Sharon se laisse tomber contre Kyra, enfouissant son visage inondé de larmes dans le creux de sa nuque. Valerie, elle aussi submergée, sort de la pièce un instant.

KYRA. – Je suis là, ça va aller...
SHARON. – Je me sens mal, si tu savais, Kyra... comme j'ai mal...
KYRA. – Je sais. Ça se voit. Ça se lit dans vos yeux...

   Anne revient alors, l'air préoccupé.
   Voyant sa sœur en pleurs, elle s'approche & tente de la réconforter en passant une main dans son dos.

ANNE. – Sharon, regarde-moi : on est là, on est avec toi, on ne t'abandonnera pas. Tu peux compter sur nous...

   Sharon se lève pour se blottir dans les bras de sa sœur.

ANNE, l'embrassant. – Je suis là.

   Valerie reviens.
   Kyra se lève à son tour et la rejoint.
   Sa tante passe un bras sur ses hanches, la rapprochant d'elle.
   La jeune femme retient ses sanglots.

VALERIE, chuchotant à l'oreille de Kyra. – Kyra, il est onze heure moins dix, il va falloir qu'on commence à y aller...
KYRA. – Ouais...
ANNE. – ... Le bureau m'a appelée, ils ont besoin de moi pour une urgence... Est-ce que ça vous embête si je vous laisse, le temps de faire l'aller-retour ?
VALERIE. – Non, pas de souci. De toute manière, il va falloir qu'on y aille aussi.

L'Etau de mon âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant