- SCÈNE 14 -

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(Kyra, Anne, Sharon, Valerie, Héloïse)

   Kyra sort de la chambre & fait signe à Anne de la rejoindre.

KYRA. – Anne, il faut que je vous prévienne... Votre... votre sœur a sans doute beaucoup changé, depuis la dernière fois que vous l'avez vue... Physiquement, je veux dire...
ANNE, posant une main dans le dos de Kyra. – A quoi je dois m'attendre ?...
KYRA, honnête. – A un fantôme...

   La jeune femme se décale pour laisser passer Anne, croisant son regard fébrile, effleurant son bras en guise de soutien.
   Sharon est appuyée à l'encadrement de la porte, pâle & cernée.
   Anne se stoppe à sa vue, sous le choc.

ANNE. – Sharon...
SHARON. – A... Anne...

   Les deux femmes s'approchent l'une de l'autre.
   Kyra se met en retrait.
   Sharon craque. Elle fond en larmes en se jetant dans les bras de sa sœur.
   Cette dernière la serre contre elle avec force & délicatesse, l'empêchant de sombrer plus avant.

ANNE, au bord des larmes. – Sha... Sharon... J'aurais pu t'aider... J'aurais fait n'importe quoi, avant qu'il ne soit trop tard... Avant qu'il ne te fasse ça...
SHARON, la voix cassée par les sanglots. – ... Anne, je... je...

   Réprimant ses sanglots, Kyra s'approche, faisant face à Anne.

KYRA. – Je... je vais vous laisser, faites comme chez vous. Anne, vous pouvez prendre un des pyjamas de ma mère, dans l'armoire, là... &, s'il y a quoi que ce soit, n'hésitez pas à fouiller. Au besoin, je serai à côté.
ANNE. – Kyra, attends...

   Sharon toujours étroitement lovée contre elle, Anne tend une main timide dans la direction de la jeune femme, saisissant doucement son poignet pour la tirer vers elle, serrant ses doigts.

ANNE. – Merci... Merci pour ce que tu as fait... Sans toi, elle... elle serait morte...
KYRA, accentuant le contact. – Je... je ne pouvais pas la laisser comme ça...

   Kyra leur lance un regard doux & regagne sa chambre, où Valerie dort déjà.
   Essayant de ne pas la réveiller malgré tout, Kyra s'effondre sur son lit, épuisée, tant physiquement que psychologiquement.
   Tous les évènements de la journée repassent en boucle dans sa tête, si bien qu'elle peine à trouver le sommeil.
   Une heure & un somnifère plus tard, elle s'endort.
   08:30. Kyra se lève. Sa tante dort toujours.
   Elle sort de quoi faire le petit-déjeuner & se sert une tasse de café.
   Elle manque de s'étouffer lorsqu'Héloïse entre dans la maison.

   (Héloïse Moreau, voisine avec laquelle Marianne est très amie, raison pour laquelle elle se permet notamment d'entrer chez les Blanc comme si elle était dans sa propre maison. Kyra a horreur de cela.)

HELOISE. – Marianne, c'est moi. T'es où ? Marianne ?
KYRA. – Putain, moins fort ! Ça ne vous passe pas par la tête qu'il y a des gens qui dorment, à cette heure-là ?!
HELOISE. – Mais Kyra, tu ne dormais pas, & je sais aussi bien que toi que ta mère ne se lève jamais après 08:00.
KYRA. – Sauf que ma mère est en Pologne, & que je ne suis pas seule. Dites-moi ce que vous venez faire ici.

   Troublée par la réaction de la jeune femme, Héloïse la fixe durant d'interminables secondes.
   Kyra réprime son agacement quand la femme finit par reprendre, d'une voix niaise. Enfin, encore plus niaise qu'à l'accoutumée.

HELOISE. – Ouh, j'ai compris : tu es avec ton amoureux ! C'est ça ?
KYRA. – Non. Vous n'avez rien compris du tout. Bon, qu'est-ce que vous voulez ?
HELOISE. – Bah savoir qui est chez toi, tiens ! Elle est à qui, la voiture garée devant la maison ?
KYRA. – Ça ne vous regarde pas. Allez, maintenant dehors. Sortez de chez moi.

   Héloïse la toise avec des yeux d'herbivore, ne bougeant pas d'un pouce.

KYRA. – Oh mais c'est pas vrai ! Vous voulez quoi, à la fin ?!
HELOISE. – Savoir qui est chez mon amie.
KYRA. – D'une, je vous signale que c'est aussi chez moi. De deux, c'est bon, je vais vous le dire, comme ça, vous arrêterez de me faire chier. C'est ma tante, ma prof de Philo & sa sœur. La voiture, c'est celle de sa sœur.
HELOISE. – Kyra, tu crois sincèrement que je vais gober ça ?
KYRA. – Croyez ce que vous voulez, je m'en tape pas mal. Mais sachez ça : je ne mens pas.

   Au même instant, Valerie descend & les rejoint.

VALERIE. – Salut.
KYRA. – Hey.

   Valerie interroge sa nièce du regard, ne comprenant pas la situation.

KYRA. – Voilà, je vous présente ma tante. Val, je te présente Héloïse, la voisine chiante. Pour manger, sers-toi, prends ce que tu veux. Chère voisine, je ne vous raccompagne pas ?... & fermez à clefs derrière vous, merci !

   Kyra lui désigne la porte de la main tandis qu'Héloïse prend son sac & s'en va, vexée.

KYRA. – Putain, je suis désolée... J'ai cru qu'elle partirait jamais...
VALERIE, se servant une tasse de café. – Elle est... envahissante.
KYRA. – C'est le moins qu'on puisse dire...

   Anne entre à son tour dans la pièce.

VALERIE & KYRA. – Bonjour.
ANNE. – Bonjour...
KYRA. – Servez-vous, prenez ce qui vous fait envie. Bref, encore une fois, faites comme chez vous. Sharon dort encore ?
ANNE. – Merci. Oui, elle dort encore...

   Toutes trois silencieuses, elles prennent leur petit-déjeuner en un temps ralenti, comme dans une bulle. C'est assez étrange.

ANNE. – Kyra, je reviens là-dessus... Comment je pourrais te remercier... vous remercier, toutes les deux, pour ma sœur ?
KYRA. – Vous n'avez pas besoin de nous remercier, Anne... J'ai agi par instinct : il n'était pas question que je sois spectatrice de son déclin, voire carrément de sa perte.
VALERIE. – Même réponse. Anne, vous savez, votre sœur va assez mal comme ça, alors ne vous ajoutez pas la charge de vouloir absolument nous remercier. Ce n'est pas la peine. J'ai malheureusement bien conscience que rares sont les personnes qui seraient allées jusqu'à faire tout ce que l'on a pu faire pour elle, mais me concernant & concernant Kyra aussi, c'était normal. C'était la moindre des choses...
ANNE, émue. – Vous... vous êtes des anges. Si vous saviez à quel point je vous suis reconnaissante...

   Elle marque une pause, s'efforçant de retenir ses larmes.
   Kyra la regarde avec bienveillance, lui laissant le temps de prendre sur elle.

ANNE. – ... Ma sœur... ma sœur est vraiment ce qu'il y a de plus cher à mes yeux... Elle a toujours été mon socle, mon pilier... Quand on est arrivées ici, si j'ai tenu bon, c'était grâce à elle. Si j'ai pas foutu toute ma vie en l'air, je le lui dois. Je peux pas vivre sans elle. Alors... alors imaginer ce qu'il lui est arrivé... Imaginer David lever la main sur elle... & me dire qu'elle aurait pu y rester... Je... je peux pas... Vous lui avez sauvé la vie, & pour ça, je ne vous remercierai jamais assez.

   Elle fond en larmes.

ANNE. – Pardon... Je... je suis désolée...
KYRA. – Ne vous excusez pas. Ce qu'on vit est difficile... Vous avez le droit de vous effondrer, vous aussi.
VALERIE. – Anne, ça ira... On est là, toutes, & on va faire de notre mieux pour trouver des solutions.

   Sharon descend à son tour, avec des cernes moins profonds que la veille mais ayant cependant conservé son teint diaphane.
   Anne s'essuie maladroitement le visage, cachant tant bien que mal son émotion.

L'Etau de mon âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant