De Dijon à Séoul

Chapitre 3

Une fois sa leçon de danse terminée, Annabelle fila vers le vestiaire avec ses camarades semblant se mêler à elles dans l'attitude. Une fois dans la petite salle, elle se dépêcha de mettre ses chaussons dans son sac, attacher ses chaussures et mettre son manteau sans s'occuper des autres danseuses. Elle les salua seulement en ressortant avec ses affaires. Le manteau pouvait être considéré comme en trop pour la saison, mais il la protégeait de la fraicheur de la fin de cette journée, tout en cachant son justaucorps classique et ses collants transparents. Du moins, jusqu'aux genoux. Il était d'autant plus nécessaire que son conservatoire n'était pas placé dans le quartier le plus rassurant de nuit. Même s'il semblait être à un endroit calme, protégé d'un côté par la large route qui le séparait du quartier non loin, de l'autre, par un muret une autre route et ce qu'on pouvait sans doute appeler un parc un peu plus bas. Ce n'était pas non plus l'endroit le plus éclairé, surtout en hiver et on pouvait toujours trouver une bière vide ou une odeur de drogue près de la porte.

L'adolescente s'adossa au mur, elle avait trop chaud pour rester à l'intérieur et écoutait sa musique. Elle avait en tête les conseils que « Sugar » lui avait transmis au cours de ces trois derniers mois et tentait de se rendre compte des changements qu'il lui avait proposé. Ils ne se considéraient pas encore comme les meilleurs amis du monde, mais au fil de leurs conversations autour de la musique en général, ils s'étaient considérablement rapprochés. Ils s'étaient échangé quelques sons demandant l'avis de l'autre de temps en temps. Même si le premier audio qu'ils s'étaient échangé n'était plus aussi présent dans leurs esprits, il restait le sujet sur lequel ils pouvaient revenir chaque fois qu'ils avaient envie de parler à l'autre. Cela avait entraîné des sujets de conversation plus personnels. Notamment du côté d'Annabelle, lorsque celle-ci avait eu besoin de vider son sac émotionnel et que le jeune homme lui avait volontiers prêté son épaule. Quand bien même ils ne connaissaient de l'autre que ces messages et son identifiant, leur relation pouvait facilement se comparer à celle d'un frère et une sœur. C'était quelque part rassurant pour les deux. L'une, bien qu'ayant un frère et deux sœurs plus âgés, vivait presque comme une enfant unique puisque ces derniers avaient déjà quitté la demeure parentale plusieurs années auparavant et n'avait que peu de contact avec eux, en dehors des vacances ou des appels téléphoniques du dimanche. « Sugar » était disponible à tout moment, il n'y avait plus beaucoup de gêne entre eux, elle savait qu'elle pouvait lui faire confiance, de toute façon ce n'est pas lui qui lâchera quelques informations compromettantes à ses parents. Du côté du jeune homme, lui, n'avait qu'un frère plus âgé, avec une famille qui n'avait pas au départ accepté son choix de carrière et il vivait presque avec un groupe de six jeunes hommes. Il ne faisait aucun doute qu'une adolescente de l'autre côté de l'écran était plus reposant. Une personne qui, au lieu d'être en construction comme la plupart des adolescents, avait besoin d'aide pour la musique mais surtout pour se reconstruire.

Peut-être qu'Anna ne s'en rendait pas encore compte, mais les dégâts qu'elle avait réussi à camoufler et colmater par l'oubli et une bonne humeur constante, avait commencé à fissurer les murs de sa ville intérieure. Et ça, de l'autre côté de l'écran, son ami le sentait. Surtout depuis que la jeune fille l'avait contacté un jour de manière inquiétante, posant des questions sur la vie, le futur, son avenir, le passé, les gens, le bonheur, l'existence... Elle n'avait pas pour autant dévoilé son vécut. Ce qu'elle ne disait pas non plus, c'est que chaque matin, elle avait un peu plus de mal à cacher cette touffe de cheveux naissants, l'irrégularité de ses cils et de ses sourcils. Après tout, son sourire cachait tout. L'excentricité qu'elle montrait parfois suffisait amplement à faire oublier ces détails à ses proches.

Un coup de klaxon l'appela et Annabelle vérifia bien le numéro de département de la plaque d'immatriculation avant de se diriger vers la voiture blanche. Avec un sourire elle s'installa à l'avant et salua son père.