Chapitre 14

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Aussi discrètement que possible, Victoria sortit de la salle à manger. Le hall d'entrée était tellement calme par comparaison aux conversations ponctuées de tintements de verres, qu'il fallut un temps à ses oreilles pour s'adapter au silence. Sans attendre, sur la pointe des pieds, Victoria monta les escaliers. Tout en haut, ils se terminaient par une porte en bois. Victoria appuya sur la poignée, mais la porte était verrouillée. Alors elle frappa trois petits coups, à peine audibles. Elle s'approcha au plus près de la porte, guettant le moindre signe de présence.

-Monsieur ? Murmura-t-elle.

La porte s'ouvrit soudainement, manquant de faire perdre l'équilibre à Victoria. Une main l'attrapa, l'empêchant de tomber en arrière dans les escaliers, et la tira dans la pièce. Le contact de cette main étrangère électrisa Victoria. En une décharge, en une pression éphémère, elle sentit se succéder en elle une foule d'émotions variées et inédites.

Victoria se trouvait dans un grenier. Il n'y avait qu'une seule pièce, immense, de la taille du manoir, mansardée, percée de petites ouvertures, ça et là. De nombreux meubles et objets divers et variés s'entassaient, délimitant différents espaces. Sur sa droite, Victoria pouvait distinguer, derrière un amas de chaises empilées les unes sur les autres, un lit en fer forgé. En face d'elle, sous la plus grande ouverture du toit, un bureau et une machine à écrire.

-Victoria.

Victoria tourna la tête vers Monsieur. L'homme était grand, légèrement bedonnant, les cheveux gris mais tous présents, des lunettes rectangulaires posées sur son nez. Derrière le verre de ses lunettes, Victoria aperçut l'ombre d'une larme briller. Elle resta immobile, le coeur battant. Elle avait momentanément oublié ce qu'elle faisait là.

-Je suis désolé, dit-il gravement.

Il tourna le dos à Victoria. Il alla s'assoir dans un fauteuil qu'elle n'avait pas remarqué tout de suite parce qu'il était dans l'ombre de la pente du toit. Le visage de Monsieur disparut dans la pénombre. Victoria ne pouvait plus voir que ses avant-bras, posés sur les accoudoirs et la longue robe de chambre pourpre qui descendait jusqu'aux mules noires qui lui servaient de pantoufles.

-Qui êtes-vous ? Trouva-t-elle enfin le courage de demander.

-Tu le sais déjà.

-Qu'est-ce que c'est que cet endroit ? Qui sont ces gens ? C'est vous qui avez écrit les livres de la vitrine dans la bibliothèque ? Comment savez-vous tout ça sur moi ?

-Doucement, doucement.

Le silence s'installa. Il ne répondit à aucune question.

-Poellek va remarquer ta disparition dans exactement quatre minutes.

Victoria scrutait la forme noire qu'elle savait être le visage de Monsieur.

-Il va venir ici directement. Il faut que tu t'en ailles, Victoria.

-Mais... je ne comprends pas...

Monsieur soupira.

-Je suis désolé. J'ai essayé. J'ai espéré que tu pourrais m'aider à sortir d'ici. À me libérer de mes fantômes. Mais Poellek est trop fort... Va-t-en maintenant, ajouta-t-il d'une voix brisée.

-Vous ne pouvez pas baisser les bras. Il suffit de changer la fin...

Monsieur tourna la tête vers la droite. Victoria suivit son regard. Il se posa sur la scintillante machine à écrire qui trônait sur le bureau.

Monsieur secoua la tête.

-Elle n'a pas d'encre.

-Où peut-on en trouver ?

-Poellek garde les rubans dans la poche de sa veste.

Monsieur adressa à Victoria un drôle de regard. Entre l'espoir et la fatalité. Puis il se rembrunit. Sans la regarder, il reprit :

-Va-t'en maintenant. Ta seule chance, c'est de réussir à partir avant minuit.

Victoria sentit un frisson lui parcourir la colonne vertébrale. Elle ouvrit la porte et descendit les escaliers en courant. 

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