Chapitre 2

175 16 8
                                    


Victoria approchait dangereusement de ses vingt-cinq ans. Elle avait trainé, multiplié les études, prolongé autant que possible l'illusion d'une jeunesse brillante et insouciante. Mais les faits étaient là, techniquement, selon les conventions qui font que l'âge se compte en années et qu'une année fait 365 jours la plupart du temps, Victoria allait avoir vingt-cinq ans. Un âge canonique quand on a vingt-quatre ans, l'âge parfait et regretté dès qu'on atteint les vingt-six.

Victoria était en route pour rejoindre Lowell. Son petit ami du lycée, qui avait survécu à l'éloignement des études supérieures et aux rencontres foisonnantes et alcoolisées des soirées étudiantes. 

Privée de tout moyen de communication, Victoria s'inquiétait de ne pas pouvoir le prévenir qu'elle serait en retard. S'excuser, préciser que ce n'était pas de sa faute, mais celle d'un contretemps qui avait pris la forme d'un poteau électrique, écrasé au milieu de la chaussée. Tout en longeant la route qu'elle avait empruntée plus tôt, dans le confort de sa petite voiture en chantant trop fort des chansons pop, Victoria vérifiait de pas en pas si le réseau revenait. C'était peine perdue. 

Victoria ne savait pas qu'elle n'avait aucune chance de contacter Lowell, car elle ne savait pas encore qu'elle était à la merci d'un Auteur spécialisé dans les récits d'épouvante. Mais vous, vous le savez. Vous savez que dans les histoires qui font peur, le premier réflexe de celui qui les invente, c'est de s'assurer que le héros n'a aucun moyen d'obtenir une aide extérieure.

Après plusieurs dizaines de minutes de marche, Victoria remarqua un chemin qu'elle n'avait pas vu à l'aller. C'était un chemin de terre, qui menait clairement à une propriété privée et dont les abords n'étaient pas signalés. C'était sans doute là sa chance. Victoria bifurqua.

Le chemin n'était pas bien entretenu. Inégal, envahi par la végétation, sous laquelle il disparaissait même par endroits. Le bas de son pantalon se prit dans une ronce qui avait eu l'insolence de ramper jusqu'à elle. Victoria s'en rendit à peine compte. Son cerveau était plutôt concentré sur le bout du chemin. Elle espérait, contre toute attente vu son état, déboucher sur une habitation accueillante, abritant des âmes charitables prêtes à l'aider. 

Elle suivit le sentier qui se perdait en circonvolutions. Les virages insensés qui se succédaient lui donnaient presque le vertige. Cela faisait déjà plusieurs minutes qu'elle ne voyait plus la route principale quand le chemin s'arrêta net, devant une grille noire. De part et d'autre de la grille, un mur de pierre, qui faisait très probablement le tour de la propriété. L'enceinte paraissait centenaire, composée de pierres verdies par des générations de végétation en tous genre. À travers la grille, Victoria pouvait apercevoir un manoir lugubre. 

Elle se voyait déjà faire demi-tour. Mais quelque chose la poussa à éprouver la grille, juste pour être sûre d'avoir fait tout ce chemin pour rien. À son grand étonnement, la grille s'ouvrit sans résistance, sans même un grincement à faire frémir la peau.

Le ManoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant