Le Manoir

Chapitre 7

Victoria se plongea dans la lecture du roman de sa vie. Car elle le découvrit rapidement, c'était bien sa vie qui était racontée dans le livre qu'elle tenait entre les mains. 

L'héroïne était née le même jour qu'elle, avait grandi dans le même village qu'elle, avait la même cicatrice dans la paume de la main, due au même verre cassé à l'âge de douze ans. 

Si au début, toutes ces coïncidences lui paraissaient amusantes, à mesure qu'elle avançait dans le récit, la gorge de Victoria se serrait, son coeur battait plus vite. Comment sa vie entière pouvait-elle être racontée dans ces pages avec autant de précision ? Au début de la deuxième partie, Victoria était carrément terrifiée. Car la deuxième partie commençait par le récit précis de l'accident de voiture qu'elle venait d'avoir quelques heures plus tôt. 

Le coeur battant la chamade, elle vérifia le nombre de chapitres restants. Il y en avait vingt-deux en tout. Elle revint au chapitre Deux de la deuxième partie, l'angoisse au ventre. Elle n'était pas certaine de vouloir aller au bout de sa lecture, craignant de découvrir son futur. Alors qu'elle arrivait à la fin du chapitre Six, au moment où elle entrait dans la bibliothèque, deux bruits simultanés la firent sursauter. 

Le premier était celui d'une horloge qui sonnait vingt heures, le second, celui de la porte de la bibliothèque qui s'ouvrait sur Poellek. Le majordome, sur le pas de la porte, la main sur la poignée, adressa son habituel grand sourire à Victoria. Cette fois cependant, le sourire de Poellek lui fit froid dans le dos. Car son regard n'avait plus rien de chaleureux. Au contraire, Victoria y décela un scintillement glacé qui lui fit penser à celui du lac sombre, aperçu depuis la fenêtre de sa chambre.

-Si vous souhaitez vous joindre à nous..., l'invita-t-il sans se départir de son sourire.

Victoria, le cerveau pétrifié, incapable de penser, n'eut d'autre choix que de fermer le livre et de le suivre.