Chapitre 18

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Victoria se retrouva sur une terrasse. Il faisait froid, mais elle le sentait à peine. Elle s'éloigna de la fenêtre et se plaqua contre le mur pour éviter d'être vue depuis l'intérieur. Victoria ferma les yeux. Elle fut tout de suite submergée par des dizaines d'émotions qui ne lui appartenaient pas. Elle eut de nouveau l'impression de sentir les doigts de Jack, la main ferme de Monsieur, la paume d'Annie. Et tout d'un coup, un flash.

Victoria rouvrit les yeux. Elle regarda sa propre main, et la longue cicatrice qui la parcourait. Elle savait qu'elle s'était coupée avec un bout de verre quand elle était enfant. Mais elle venait tout juste de se souvenir comment.

La grand-mère de Victoria avait un don. Elle pansait le feu, passait les verrues et l'eczéma. Alors, il y avait souvent foule dans sa cuisine. Des gens de tous âges brûlés par des coup de soleil ou les rayons des traitements contre le cancer, qui venaient chez elle dans l'espoir de calmer la douleur. 

Un jour, sa grand-mère avait eu un coup de téléphone. On lui demandait si elle pouvait panser à distance. Elle avait répondu que c'était moins efficace. Alors on l'avait supplié de venir, car le patient ne pouvait pas se déplacer. La grand-mère avait longuement hésité avant d'accepter. Victoria était chez elle se jour-là et s'était donc retrouvée avec sa grand-mère, à l'hôpital, au service des grands brûlés. 

Une femme d'une quarantaine d'années les attendait. C'était elle qui avait appelé, pour son mari. Victoria et sa grand-mère s'étaient rendues près de lui. Il était allongé dans un lit, couvert de bandages. Victoria en avait été particulièrement impressionnée. Sa grand-mère s'était approchée du malade et lui avait posé quelques questions à mi-voix. 

Victoria avait les yeux rivés sur l'homme, à la fois effrayée et captivée. Il la remarqua. « C'est votre petite fille ? - Oui. Victoria, dis bonjour au monsieur. ». Victoria s'était approchée à son tour. Elle avait tendu la main et avait dit « Bonjour ». L'homme avait grimacé, mais avait fait l'effort de tendre à Victoria deux doigts qui n'étaient pas brûlés. Victoria les serra brièvement. Au moment où sa peau entra en contact avec celle de l'homme, Victoria hurla. 

Elle fit quelques pas en arrière, trébucha, renversa une tablette sur laquelle était posée une cruche remplie d'eau, faisant tomber la cruche qui explosa en dizaines de morceaux de verre tranchants. Ayant complètement perdu l'équilibre, Victoria tomba en arrière et s'entailla la paume de la main sur les débris de cruche. 

La femme du blessé s'était précipitée sur elle pour l'aider à se relever, s'inquiétant du sang qui commençait à couler. La grand-mère de Victoria en revanche était comme figée. Elle dévisageait Victoria avec de grands yeux ébahis. Oubliant momentanément son patient, elle s'approcha de sa petite fille. Sans un mot, elle lui prit la main. Elle ferma les yeux et frissonna. Victoria se sentit tout de suite mieux. Puis sa grand-mère rouvrit les yeux. « Comment ne m'en suis-je pas rendu compte plus tôt ? » murmura-t-elle.

Victoria, treize ans plus tard, regardait la marque que la carafe d'eau avait laissé dans sa paume, comprenant enfin ce que sa grand-mère avait dit ce jour-là. Elle aussi avait un don. Elle était capable de ressentir les émotions des autres en leur touchant la main.

Victoria regarda droit devant elle, soudainement grisée par la révélation. Elle avait peut-être un moyen de battre Poellek et de s'enfuir d'ici.

-Psst ! Par ici !

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