Chapitre 1

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Daniel


« Je suis Emma Rayne. »

Jusque-là, tout est normal... enfin, presque. Vous voyez, je ne suis pas réellement elle, elle n'existe pas et je suis un homme. Depuis bientôt deux ans, je me fais passer pour une femme, une auteure de romans, de romance pour être précis. La gifle monumentale qui vient de s'abattre sur moi est, je suppose, méritée. Peut-être que je sous-estime la façon dont elle prend tout cela au sérieux ? Les sentiments que Caitlyn éprouve, elle les ressent pour moi, enfin pour la personne que je suis derrière l'écran. C'est avec moi qu'elle correspondait, moi qui écoutais ses conseils sur les textes que je publie, moi qui discutais avec elle de nos relations, de nos désirs, et de ce que l'on attend d'une relation. Certes, je le faisais en me faisant passer pour une femme, mais est-ce si important, sérieusement ?

En tout cas, elle y a mis tout son cœur, et ma joue me fait un mal de chien. Je sens encore sa main percuter ma joue et le bruit résonner dans mon oreille. Je ressens encore la brûlure et l'empreinte douloureuse de ses doigts sur ma peau. Elle l'a vraiment mal pris ! C'est bête, car je l'apprécie beaucoup. Nous nous entendions bien. Peut-être aurais-je dû être honnête plus tôt, non ?

Il faut remettre les choses dans leur contexte : ma "supercherie" - quel grand mot pour désigner le fait d'avoir simplement choisi un pseudonyme pour publier mes romans, un nom féminin en l'occurrence - est au fond secondaire. Mon but est que mes lectrices et lecteurs apprécient mes histoires, s'y retrouvent et fantasment à leur guise. Le reste n'est qu'un détail. Je ne cherche pas vraiment à tromper qui que ce soit. Le fait d'avoir créé un passé fictif pour mon pseudonyme n'est que la preuve de ma créativité, et tout est tout de même assez proche de la réalité. D'accord, je n'habite pas au Canada ni à Jersey, mais je suis réellement célibataire. Et non, je ne fais pas de longues balades le soir au bord du lac avec mon labrador chocolat. En réalité, le soir, je rentre dans mon petit appartement après avoir pris le métro, coincé parmi la sueur des autres voyageurs.

Alors, comment en est-on arrivé à cette gifle ?

Ai-je profité des confidences quant aux goûts de Caitlyn pour l'approcher en tant que Daniel ?

C'est possible, mais ce n'est pas si simple.

Permettez-moi de vous remettre dans le contexte, car cela me permettra aussi de voir où j'ai pu commettre des erreurs. Il faut bien admettre que j'ai forcément fait quelque chose de travers. Cette histoire de pseudonyme, ça aurait dû être plutôt amusant, en réalité.

Permettez-moi de vous replonger dans le contexte, car cela me permettra également de comprendre où j'ai commis une erreur, car il est évident que j'en ai fait une quelque part. En toute honnêteté, cette histoire de pseudonyme aurait dû la faire rire, non ?

Je suis passionné d'écriture depuis quelques années. J'aime ce que je fais, mais cela reste avant tout un passe-temps. Un soir, alors que j'avais du mal à m'endormir, mon subconscient a décidé de partir dans une aventure folle, sans même me demander mon avis. C'était une histoire géniale, alors je me suis levé et j'ai pris des notes fiévreusement, notant des dialogues, des mises en situation. Le lendemain, pendant ma pause déjeuner au travail, j'ai commencé à tout retranscrire, à développer l'intrigue. En quelques semaines, j'ai terminé un thriller captivant. J'étais si attaché à mes personnages que j'ai eu envie de leur donner une suite. J'ai écrit deux cents pages supplémentaires, puis soudain, le vide. Une autre nuit, mon subconscient m'a entraîné vers une nouvelle histoire. Cela fait maintenant trois ans que je travaille dessus. J'adore cette histoire, sombre et complexe, avec ses personnages torturés, leurs secrets bien gardés, ce côté réaliste et intime, ainsi que tous ses mystères. Elle avance lentement, mais chaque dialogue, chaque page est parfaite à mes yeux.

J'écris dès que je peux, mais il n'est pas toujours facile de m'immerger complètement dans mon monde créatif. Ma pause déjeuner est souvent trop courte pour que je puisse réellement avancer dans mon projet d'écriture. Et oui, comme bon nombre d'entre vous, je dois également travailler pour subvenir à mes besoins. Quelle brillante idée, n'est-ce pas ? Comment pourrais-je aspirer à une carrière d'écrivain alors que je dois me traîner au travail cinq jours par semaine ?

J'ai un espace de travail identique à celui de mes collègues, cloisonné, avec une chaise qui descend toutes les heures. Je suis sans arrêt en train de me lever pour peser sur la manette sous l'assise pour la relever... mais inévitablement, je redescend. C'est un cercle sans fin, un peu comme si j'étais pris dans un tour de manège dans un parc d'attraction. Je regarde mes collègues lorsque je me redresse, et je constate qu'il y a beaucoup de clowns tristes sur cette piste. J'entends tellement de soupirs que j'ai parfois l'impression que c'est la ventilation qui se déclenche.

Dans cet environnement monotone et routinier, l'écriture est mon unique échappatoire. Dès que j'ai un moment de liberté, je me plonge dans mon roman, avançant lentement, pas à pas. Je reviens en arrière après chaque relecture pour peaufiner le moindre terme, corriger, modifier, et ajouter de nouveaux dialogues. 

Je travaille pendant ma pause déjeuner et le soir, tard dans la nuit, avançant lentement, un mot à la fois. Mon livre prend de l'ampleur, s'allongeant peu à peu. Une fois épuisé, je me couche pour me préparer à retourner au travail le lendemain. C'est comme être piégé dans une boucle temporelle.

Jusqu'à ce que je tombe sur une publicité qui allait changer le cours de mon existence.

Regardant de tout et de rien, surtout de rien, sur mes réseaux sociaux, je suis tombé sur une publicité pour un réseau social littéraire : "Mon petit bouquin". Ce site offrait la possibilité de partager les textes que monsieur et madame tout le monde écrivaient, comme moi, et de recevoir des retours de lecteurs. Certains se spécialisaient dans les corrections, d'autres créaient des visuels et des couvertures. Intrigué par cette opportunité, j'ai décidé de m'inscrire sous le pseudonyme de "Dark Rayne" et de commencer à publier mon premier roman, un chapitre par jour.

Dès le premier jour, j'ai reçu des commentaires positifs de la part des lecteurs et lectrices, même si leur identité restait cachée derrière des pseudonymes. L'essentiel était là : j'avais un public qui appréciait mes personnages, critiquait leurs réactions et réagissait aux émotions que j'avais insufflées à mes écrits. Bien sûr, certaines critiques étaient difficiles à accepter, après tout, il s'agissait de MA création. Mais d'autres m'ont offert des suggestions constructives et des encouragements, tandis que certains m'ont félicité une fois arrivés au mot "Fin".

Magnanime, j'ai pris en compte les suggestions pertinentes, qui, je le reconnais, apporteraient un plus à mon histoire, et j'ai corrigé les parties concernées.

Encouragé par les retours positifs, j'ai donc entamé la publication de mon deuxième roman, toujours au même rythme d'un chapitre par semaine. Ce nouvel opus a attiré de nouveaux lecteurs et lectrices, mais surtout des abonnés fidèles qui me suivent depuis ma première publication.

C'est à ce moment-là que la méprise a probablement eu lieu. Lors de la création de mon profil, je n'ai pas remarqué que j'avais cliqué sur "Féminin" sans m'en rendre compte, l'écran de mon téléphone étant relativement petit. Ce n'est pas une excuse, j'en suis conscient, mais c'est la seule explication plausible à cette confusion. Aux yeux de tous, j'étais identifié comme une femme.

Sans le vouloir, je me suis mis dans une situation délicate dès le début...

Tormented soulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant