Caitlyn
Je remets le sac au client qui vient de faire ma journée. J'aime les clients qui investissent dans la littérature, surtout quand ils le font chez moi. Je regarde les statistiques de mes ventes sur certains livres et les notes pour en commander de nouveaux exemplaires. Je comble les trous sur mes tablettes en mettant quelques livres de face, ceux que je cherche à suggérer et à vendre.
Le bruit de la porte me fait me retourner.
« Bonjour, Monsieur », dis-je en sortant mon sourire commercial.
« Bonjour », répond-il.
Je n'insiste jamais plus, préférant laisser le client flâner. Une librairie n'est pas comme les autres commerces de détail. Si un client vient sans avoir une idée en tête, il vaut mieux le laisser aller, vagabonder entre les rayons, les sections.
Je continue de remplir mes commandes de livres aux différents distributeurs, gardant un œil sur mon client, l'étudiant, de loin. Il doit mesurer probablement 1,80 à 1,85 mètres, avec un costume à petit prix, mais propre et qui tombe bien. Ce n'est pas un milliardaire qui me courtisera, car je suis celle qui lui convient et non pas la bimbo que ses parents voudraient qu'il épouse pour le prestige de la famille. Chut, fantasme numéro quatorze. Il a un beau visage, mais marqué par le manque de sommeil. Je suis spécialiste pour remarquer ces détails, puisque je les cache moi-même. J'aime le regarder prendre, lire les couvertures, puis reposer doucement un livre, je trouve ce geste sensuel.
Cherche-t-il plus un roman policier, de la science-fiction, ou un essai ? Peut-être de la philosophie, voire de la politique ou de l'art, qui sait ? J'estime que tant que je ne vois pas le client avoir besoin de conseil, je le laisse aller. Il va peut-être tomber de lui-même sur quelque chose qui attirera son œil, comme un titre accrocheur, puis il sortira le livre de la tablette, lira le quatrième de couverture, et le reposera, ou le feuillettera. Prendra-t-il, prendra-t-il pas ? Il hésite à le reposer, c'est là que j'interviens. Faisant soit un commentaire sur le livre, soit sur le sujet ou l'auteur. Je ne sais pas tout ce que j'ai en inventaire, mais j'ai une assez bonne mémoire de ce que je classe, et de faire le ménage des tablettes chaque jour est un bon indice pour savoir à peu près quel livre le client regarde.
« C'est un classique, un mélange entre les souvenirs de l'auteur sur la Seconde Guerre mondiale et de la science-fiction. Le personnage central fait des bonds à travers le temps, nous faisant vivre plusieurs vies », dis-je en lui présentant le livre.
« Oui, je me souviens avoir vu le film quand j'étais jeune », répond-il.
« Vous avez vu l'adaptation », corrige-je malgré moi. « Lire le roman, c'est autre chose, c'est plus intimiste. »
« Vous avez raison », dit-il en reposant le livre.
Merde. J'aurais dû la fermer !
Je me maudis intérieurement pour mon impulsion mal placée. Certes, je suis passionnée par les livres et j'aime partager mon savoir, mais parfois je peux être un peu trop enthousiaste. Je souris faiblement au client, espérant qu'il ne m'en tiendra pas rigueur.
« Cherchez-vous quelque chose en particulier ?
— Euh, oui. Pour ma petite sœur. Des livres de romance.
— D'accord, a-t-elle un auteur qu'elle préfère ? Un style ?
— Il y a plusieurs styles ? » reprend-il surpris, me faisant sourire.
« Et bien, il y a les vieux classiques de Barbara Cartland, les Harlequin que lisait grand-maman, sinon les 50 nuances qui ont popularisé le genre auprès d'une nouvelle clientèle, lançant ce que l'on appelle la "New romance". Nora Roberts à plusieurs sous-genres, de la romance traditionnelle, ou une série mi-roman policier – un peu science-fiction aussi – et romance. Vous avez un peu de SM, avec Sara Agnès L. 50 nuances a démocratisé la littérature érotique, on ne se cache plus pour en lire, les livres sont bien en évidence dans les bibliothèques à la maison. Quel âge a votre petite sœur ?
— Vingt et un ans.
— Je pense qu'elle a déjà dû lire les 50 nuances.
— Probablement. Auriez-vous quelque chose de nouveau, quelque chose qui fonctionne bien en ce moment. Vous, lequel liriez-vous aujourd'hui ? » demande-t-il me surprenant.
« Eh bien, ceux-ci, » dis-je en revenant avec deux livres. « Ce sont de nouveaux auteurs, mais prometteurs. Tous les ingrédients d'une bonne romance y sont. Leurs prochains livres seront des succès à cause de ceux-là.
— Parfait, je les prends.
— Si votre sœur ne les aime pas, je vous les reprends, s'ils sont en bon état. C'est ma suggestion, si elle est déçue, ce sera de ma faute.
— Vous êtes gentille, » me sourit-il.
Je le regarde, il est plutôt beau gosse. Son sourire est franc. Instinctivement, je baisse les yeux vers sa main en lui tendant ses achats. Une décoloration m'indique qu'une bague était portée à ce doigt encore récemment. Ses doigts me touchent quand il prend le sac, et j'en ressens un courant électrique me traverser.
De l'électricité statique.
« Merci d'avoir magasiné chez moi.
— C'est votre librairie ? » demande-t-il surpris.
« À cinquante pour cent avec le café. Marie remplit les estomacs, je m'occupe du cœur et de la tête. »
Je me sens conne tout d'un coup avec cette formule, mais je souris.
« Et vous êtes ?
— Caitlyn.
— C'est un beau commerce et une bonne idée que vous avez là, Caitlyn.
— Merci.
— À la prochaine, c'était un plaisir.
— N'oubliez pas, je reprends les livres si votre sœur ne les aime pas.
— Si elle ne les a pas lus, elle les aimera, vous les avez conseillés, et je suis persuadé que vous êtes de très bons conseils. Au revoir.
— Au revoir et merci. »
J'attends que la porte se referme pour aller voir Marie qui m'observait de loin, derrière son comptoir. Je descends, les joues rouges.
« Tu as vu le beau gosse ! Un sourire de rêve et gentil en plus.
— Tu lui as demandé son numéro ?
— Non, il a acheté des livres, c'est tout.
— Kate ! Tu lui plais, Princesse, c'est flagrant, il ne te quittait pas des yeux, dès qu'il est entré, il a flashé sur toi.
— Tu crois ?
— Certaine.
— Rohhhh. J'espère qu'il reviendra, » dis-je en devenant écarlate.
« C'est sûr, s'il pouvait te dépoussiérer et te ramoner la cheminée, ça te ferait du bien.
— Marie ! » la grondé-je en vérifiant autour de nous qu'il n'y ait pas de client. « Ce n'est pas comme si j'étais en manque.
— On dit ça, ouais. Ça fait combien de temps depuis... » dit-elle en faisant tourbillonner son index jusqu'à mon entrejambe.
« Pas si longtemps que ça tu saurais, » dis-je en remontant dans mon antre.
« Tu dis ça ma chérie, mais je t'ai vue tout à l'heure, tes hormones criaient "prends-moi au milieu de mes livres, oh oui, fais-moi crier !".
— Marie ! » éclaté-je de rire avec elle.
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Tormented soul
ChickLitDans un charmant local abritant une librairie et un café/sandwicherie, Caitlyn et son amie Marie mènent en apparence une vie agréable, solidement liées par leur amitié. Cependant, derrière ses sourires, Caitlyn dissimule sa crainte des hommes depuis...