Chapitre 33

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Moya Caitlyn


Nous avons tous débarqué au milieu du printemps. Daniel est officiellement le propriétaire de la librairie-café "Le Mot de la Faim." Grâce à l'aide de Béa, il a obtenu un contrat d'édition et une avance pour ses prochains titres. J'ai tenu à la remercier en personne, me présentant sous mon nom d'auteur et mon véritable nom. Elle était surprise et ravie de finalement me rencontrer, mettant un visage et une voix sur mon avatar, tout en regrettant que j'aie cessé mes activités sur ma page Facebook et les différents sites d'auteurs.

Je lui ai parlé de mon projet d'écriture et devant son insistance, lui ai promis de lui en envoyer une copie, « sait-on jamais », dit-elle en souriant. Un bisou et une embrassade plus tard, je rejoignais Siobhan pour une visite de Paris : Le Louvre, le Palais des découvertes, Notre-Dame et les catacombes – dois-je m'inquiéter qu'elle ait préféré les catacombes ? Le pont des Arts avec ses cadenas, la place Vendôme bien évidemment, La Bastille, le Trocadéro et le champ de Mars. Selfie amoureux obligé en haut de la belle dame. Et des restaurants, pleins de restaurants. Elle voulait tout goûter et prenait des notes.

Pendant ce temps, Daniel s'est occupé du recrutement pour nous remplacer à la librairie-café, son comptable étant chargé de gérer tous les aspects financiers.

Mes parents sont montés, tristes et heureux. Ils se souvenaient de Siobhan et ne se sont pas gênés pour lui rappeler tous les mauvais coups qu'elle faisait, enfant. Avant de l'embrasser et de nous souhaiter une longue vie. Une rousse qui rougit, c'est étonnant.

Le plus dur fut pour les parents de Marie. Ne comprenant pas comment leur fille, qui a toujours été nulle en anglais à l'école, pouvait aller s'installer dans un pays anglophone. Ils s'inquiètent pour leur fille, et je les comprends, mais ils sont rassurés que nous partions ensemble. Ils ont attiré Daniel à l'écart, lui donnant leurs consignes, avant de se serrer la main.

Nous voici donc, mi-mai, débarquant du train à Inverness. Grand-Père Ewan est arrivé avec une espèce de bus qui devait dater de la guerre, probablement de la Première Guerre mondiale. Sérieusement, le truc devait sortir d'un musée et fonctionner au charbon de bois. Les embrassades ont été source de fous rires quand est venu le tour de Marie. Grand-Père l'a regardée d'un œil noir, se souvenant qu'elle avait cassé une assiette de service de la maman de Grand-Mère Caitlyn.

« Je mangerais dans une casserole, » dit-elle aussitôt, faisant rire Grand-Père. « French Mary ! Je t'ai à l'œil, » le gronde-t-il en la serrant contre lui. « Je sais tout ce que tu as fait pour Moyra, merci d'avoir pris soin d'elle toute ta vie, » chuchote-t-il à son oreille avant de l'embrasser affectueusement sur la tête. À part moi, Grand-Père Ewan n'a jamais embrassé personne ! Bon, il doit bien y avoir Grand-Mère, mais je ne l'ai jamais vu faire, c'est peut-être une légende de la lande.

« J'ai compris qu'il y avait des couples, vos chambres sont prêtes. Moyra et French Mary dans celle de Moyra, et Siobhan avec son petit ami dans l'autre.

— Grand-Père ! » m'insurge-je.

« C'est pas ça ? » s'excuse-t-il d'un clin d'œil.

« Alors, les jeunes, le programme. Temps libre aujourd'hui, reposez-vous, profitez du village. S'il y a quoi que ce soit, demandez à n'importe quel vieux que vous croiserez, il sera content de vous aider. Ce soir on mange au pub. Les vieux veulent vous rencontrer. Ah, Peigi, la femme d'Ainsley est malade. Il s'excuse, mais il ne pourra pas être là ce soir.

— C'est grave ? » s'enquiert Siobhan, se souvenant de son enseignante à l'école primaire à Fort Williams.

« L'âge, mais elle ira mieux dans quelques jours. »

Je me rapproche de Siobhan en lui murmurant ce que j'ai en tête depuis des mois.

« Toi et moi, Siobhan, nous sommes la continuité, nous sommes la mémoire de Glenfinnan. Qui se souviendra d'eux quand ils ne seront plus là ? Qui se souviendra de Peigi ? Nous devons préserver leurs souvenirs, nous les avons connus, ils vivent à travers nous. »

À peine descendus du bus, Marie se précipite vers le village en courant.

« Où vas-tu ? » crié-je, redoutant la réaction des anciens quand ils la reconnaîtront. La furie française est de retour. French Mary.

« Je vais voir Marguerite ! »

« Appelle-la Mairead ! »

« Promis, » entend-elle à peine. Je prie pour qu'elle s'en souvienne arrivée devant sa porte. « Tu veux descendre voir Grand-Mère Mairead aussi ? » demandé-je à Siobhan, « juste au cas où ? »

« J'ai confiance en Mary, tout se passera bien. Je préfère voir où nous allons habiter toutes les deux. »

« Je suis heureuse. »

Daniel se sent isolé, personne ne le connaît, Marie l'a juste planté là, je le rassure en l'accompagnant vers sa chambre.

« Ne t'inquiète pas, là ce n'est rien. Ce sera pire ce soir. Ce sont des Écossais. Bourrus au premier abord, difficiles d'approche. Personne ne t'a jamais vu, tu seras donc le centre d'attention et des questions. Ensuite, tu es le compagnon de French Mary. Là, ça se complique. Marie a une histoire ici, avec beaucoup de monde. En fait, mais ne lui dis pas, ils l'aiment beaucoup et s'amusent de lui rappeler deux ou trois incidents, en faisant passer ça pour des incidents diplomatiques. Elle a accidentellement plongé avec le vélo de Mairead dans le Loch ; elle a cassé un bac à fleurs qui tenait debout on ne sait trop comment depuis des dizaines d'années. Elle a aussi marché sur la queue d'un chien qui la collait tout le temps. La légende de French Mary était née. Pour ma part, tu remarqueras que tous m'observent. Ils pensent que je ne les vois pas, mais c'est raté. Tous les vieux du village me considèrent comme leur petite fille. Tous se sont tous occupés de moi à un moment ou un autre. Française, j'aurais peut-être passé mes vacances dans la Creuse ou en Normandie, moi, les miennes, je les ai passées ici. Tous m'ont vu grandir.

— D'accord.

— Ici, je suis Moyra. Caitlyn est restée en France. Moyra Caitlyn, ou Kate à la rigueur, car Marie aura du mal.

— Je m'y ferai.

— Je peux te demander de faire le tour du village, de repérer les commerces vides, de faire des photos. Que l'on étudie ça tous ensemble. Au pub, méfie-toi, je ne serai peut-être pas en état pour les surveiller, la dernière fois ils m'ont saoulée comme il faut. Fais attention à toi et à Marie, ils ont la main lourde. Fais gaffe aux tournées, c'est un cercle vicieux. Tu es obligé de boire chaque tournée. Il n'y a qu'une façon de s'en sortir. Debout sur tes jambes ou à quatre pattes. Si tu finis sur tes jambes, tu seras presque accepté. À quatre pattes, attends-toi à une autre tournée dans les jours qui suivent, si ce n'est le lendemain. Après le pub, tu auras le test de la barque. Ils vont débarquer à l'aube et t'emmener à la pêche.

— Le lendemain, je suppose.

— Exact. Si tu ne dégueules pas, tu seras accepté. »


Tormented soulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant