Chapitre 11

99 12 1
                                    

Caitlyn


J'adore le lundi. Alors que tout le monde travaille, ma librairie est fermée. Marie et moi avons convenu de ce jour de repos. Le dimanche, elle ferme à 14 heures, et comme moi, elle reste fermée le lundi. Nous n'avons pas d'employés, nous sommes seules pour faire tourner nos commerces et nous avons le droit à un repos comme tout le monde. J'aime le lundi. Il y a moins de monde dans les magasins, faire les courses est si désagréable le samedi. Le lundi... personne. C'est plus calme dans la rue, je peux sortir sans me sentir agressée, bousculée. j'ai développé une sorte d'agoraphobie ou d'androphobie. Quand il y a trop d'hommes autour de moi, je panique. Ma psychologue m'a rassurée en me disant que c'était normal après ce que j'avais vécu, et qu'avec le temps, cela finirait par s'estomper. C'est faux ! Je choisis donc mes combats, je préfère éviter les foules, les endroits peuplés de trop de mâles. Si Marie m'invite à sortir pour me changer les idées, nous allons dans des bars ou des boîtes LGBTQ+, même si nous ne sommes ni gays ni... rien de spécifique. C'est simplement qu'elle sait que là, au moins, aucun mâle ne me fera de mal.

Après une semaine bien remplie, je décide de prendre mon temps ce matin. Je me suis couchée tard presque tous les soirs, alors j'ai besoin de me détendre un peu. En short de sport et tee-shirt, je flâne dans ma chambre, profitant de l'absence de vis-à-vis pour laisser tomber les sous-vêtements. C'est l'un des plaisirs du lundi, je n'ai pas besoin de porter de soutien-gorge. Je remplis la bouilloire et prépare mon mélange de thé préféré. Pendant que l'eau chauffe, je place ma tablette sur son support pour appeler mes parents.

Depuis leur retraite, ils ont choisi de s'installer en Occitanie, dans un petit village de montagne. J'aime beaucoup cet endroit, même s'il est très différent de l'Écosse et de ses Highlands, d'où ils sont originaires. La beauté de la nature environnante me fascine. Ce pays est riche en histoire, mais aussi en mélancolie. Je crois qu'avec une connexion internet à haut débit, j'irais m'installer là-bas aussi. Cette ambiance me convient, me ressemble. J'ai besoin de peu en fait, vu que je ne sors pas. Mais une librairie dans un village de 400 habitants, je ne suis pas sûr de faire énormément de vente et sans Marie... Je ne peux rien faire d'autre. Si je maintiens un minimum de contact humain, c'est parce que Marie est avec moi, sinon je fabriquerais des articles que je vendrais en ligne enfermée chez moi.

Lorsque nous avons ouvert la librairie et que j'ai eu mes premiers clients masculins, Marie m'apportait son soutien en restant toujours près de moi. Le tout premier client, je m'en souviens encore, m'a complètement tétanisée. Quand il a posé une question, je me suis littéralement cachée derrière Marie. Depuis, c'est devenu un client régulier. Je gère mieux mes peurs. Certains d'entre eux sont devenus des habitués, et leur présence me réconforte. Voir ces hommes fréquenter la librairie me fait du bien.

Je sais que mes parents se sentent coupables de ne pas avoir été présents lorsque j'ai été agressée, mais personne n'aurait pu prévoir ce qui s'est produit. Martin était gentil et prévenant, et nous étions ensemble depuis un an. Le drame est survenu pendant leurs vacances, et ils ne pouvaient pas deviner que quelque chose d'aussi terrible allait arriver. Je ne leur en veux pas pour cela. Mon père culpabilise énormément. Je le comprends. Sa petite fille a été blessée et brisée. Un soir il m'a clairement fait comprendre que le jour où Martin sortira de prison, il s'en occupera. Ce sera entre lui, Martin et une forêt où nous n'entendrons plus jamais parler de lui. C'est une entente tacite. Je ne poserais aucune question, Martin disparaîtra complètement de nos vies. Je sais qu'il est sérieux. Je l'aime pour ça.

« Bonjour, Moyra », chantent-ils tous les deux, avec leur accent.

Oui, mon prénom est Moyra, mais je préfère tellement être appelée par celui de ma grand-mère, Caitlyn. Moyra, ça fait... bref je n'ai pas envie de les sermonner sur leur choix, je m'estime chanceuse, j'ai un deuxième prénom. Marie, elle, n'a que Marie. Parlant de Marie, la première fois qu'elle a rencontré mes parents, elle a été prise d'un fou rire incontrôlable. Ils ont moyennement apprécié. Apprenant qu'elle est parisienne depuis plusieurs générations, ils lui ont pardonné ce manque de savoir-vivre. Elle ne s'est plus jamais moquée de mon prénom, elle emportera son fou rire dans la tombe. Le regard de mon père était assez clair à ce sujet.

« Vous allez bien ? Ça me fait plaisir de vous voir.

— Tu manges assez ? On dirait que tu as maigri. Tourne-toi. Tu ne trouves pas qu'elle a maigri Angus ?

— Mais non Ayleen, regarde comme elle est belle. »

Mon papa c'est mon héros.

« Je t'assure maman, je mange tous mes repas. Marie me nourrit tous les jours.

— Quand viens-tu nous rendre visite ? Tu sais qu'une chambre t'attend. Prévois-tu de prendre des vacances bientôt ? Fermez le magasin avec Marie, et venez toutes les deux nous rejoindre, le lit est assez grand pour vous deux. Nous pourrions aller à la mer si ça te dit. »

Ma mère à la mer. Elle n'a jamais mis les pieds sur le sable au bord de la Méditerranée. Son truc ce sont les lacs, de l'eau froide. Elle ne reniera jamais ses origines écossaises. C'est tout juste si elle ne se roule pas dans la tourbe. Mon père, quant à lui, est passionné par les châteaux, l'histoire, bien tourmentée si possible. Le Languedoc était un choix logique, un compromis pour les deux, tout en restant en France.

« On regardera ça, maman. Mais pour le moment, Marie vient de commencer une nouvelle relation, alors on attendra qu'elle s'en lasse d'abord.

— Pourquoi Marie n'est-elle jamais satisfaite en amour ? Elle tombe amoureuse à la vitesse de l'éclair, puis se lasse au bout de quelques jours.

— Je ne sais pas, maman. Elle reste discrète à ce sujet.

— Elle est peut-être lesbienne ? » suggère mon père, de façon assez directe.

« Angus !

— Eh bien, quoi. Je suis simplement réaliste.

— Et toi, Moyra, ça va ? » demande ma mère avec sollicitude.

« Tout va bien. Les journées sont bonnes et bien remplies. J'ai des séances de dédicaces prévues prochainement. Je suis en train de négocier un contrat de partenariat avec une école voisine et la papeterie en face. Si nous concluons une entente d'exclusivité, cela nous assurerait des ventes régulières. La marge serait plus basse, mais les rentrées d'argent seraient plus stables.

— C'est bien ma puce. »

Je sens dans le regard de ma mère qu'elle parlait d'autre chose, qu'elle voulait aborder un sujet plus délicat.

Elle voit dans mon regard que je le sais.

Je vois dans ses yeux qu'elle sait que je le sais.

Je vois dans les yeux de mon père qu'il sait que je sais qu'il sait qu'elle sait.

« Je vous aime. Tout va bien, » les rassuré-je.

« C'est l'essentiel, n'est-ce pas, Ayleen ?

— Bien sûr. Tout ce que nous voulons, c'est ton bonheur, Moyra. »

Si tu veux me rendre heureuse, appelle-moi Caitlyn, comme tout le monde ! Mais je ne lui dirais jamais ça, c'est ma maman après tout. Elle m'a donné la vie dans le sang et les larmes.

« Je regarderai avec Marie quand elle voudra prendre des vacances. Je lui proposerai de venir dans le Languedoc. Le soleil et la nature lui feront du bien.

— Il n'y a rien de tel. On te laisse profiter de ton jour de congé. Repose-toi, ne lis pas trop.

— Tu me connais...

— Justement. Je t'aime.

— Je t'aime Kate, » lance mon père en coupant la vidéo.

Mon papa, c'est mon héros.

Nous avons toujours été proches, lui et moi, encore plus depuis l'agression. Je sais qu'il sait que je déteste mon prénom, et son dernier mot, me montre l'amour et le soutien qu'il me porte. J'ai encore plus envie de descendre les voir. Je me promets d'en discuter avec Marie demain. Ne serait-ce qu'une semaine, histoire de changer d'air. Financièrement, on peut se le permettre.

J'attrape ma tablette, ma liseuse, mon thé, et vais m'installer sur ma terrasse pour profiter de mon jour de congé.

Tormented soulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant