XIII. Sur le fil du rasoir

67 5 0
                                    

Les plus belles choses ont une fin, je capte le regard soudainement atteint de mon amant. Il nous dévoile une partie des méandres de son imagination suicidaire :

- Pedro planque des armes au dernier étage.

- Quoi ?

- Il est paranoïaque et s'est constitué un bel arsenal.

- Et... ?

Martín se terre dans un mutisme, soutenant son regard avec insolence. Il attend les ordres, le reste l'importe peu. De mon côté, je baisse le visage, anéantie. L'autre grand con en costume de velours, que dis-je, il porte actuellement un costume en queue de pie, se pavane avec un sourire suffisant. Il a toujours été le maître des opérations, souvenez-vous lors du braquage. Ses paupières clignent sous la satisfaction de ses propos, les images défilent, il s'y voit déjà. Je riposte en secouant son bras, mon corps est raide sous la torpeur :

- Tu veux voler ses flingues ?

- Pas les voler, les lui emprunter, premièrement. Et deuxièmement, je ne veux pas claquer avant d'avoir mis la main sur ces putains de lingots d'or.

- Je te suis. 

Les mots sont sorti avec une fluidité magistrale. Ferme la et range ta langue trop pendue à mon goût, le Latino ! J'ai comme une envie de lui sauter à la gorge. Hormis exciter la conscience de Berlin et se le rêver, ce type est une plaie. Il est capable de tout pour s'attirer ne serait-ce qu'un regard ou qu'une foutue faveur de sa part. Oubliez tous ce que j'ai pu dire sur lui : la pseudo complicité naissante, l'entraide, le baiser échangé... Rembobinons la cassette, il est ici à la base pour lui. Et s'il pouvait se l'accaparer pour le restant de ses jours, il ne se priverait pas. Il va le conduire à la mort et il en redemande ! 

Mes deux acolytes s'entrainent mutuellement dans le gouffre. Ils s'observent, à quoi pensent-ils ? A m'éjecter du plan ? Au final, qu'est-ce que c'est que ce ménage à trois qui pue l'hypocrisie à plein nez ? Je n'ai rien demandé, moi. Je voulais juste vivre après le casse, profiter de notre argent et de cet homme pour qui je me suis entichée il y a de cela, plusieurs années. Le Sud Américain ouvre la bouche, la mine admiratrice :

- Je suis tout ouïe, explique moi comment tu veux t'y prendre. 

Je n'existe plus, je n'ai jamais existé au sein de ce "couple". Les qualifier ainsi me tord l'estomac. J'ai été conne à penser le contraire, cependant, on ne change pas les gens. Je suis bien placée pour le savoir, je n'ai jamais réussi à changer Berlin. Soudain, un bruit retentit du couloir, des pas pressés. L'ambiance illusoire redescend pour devenir électrique. Andrés se fige, il pose un doigt sur ses lèvres et nous intime de ne faire aucun bruit. Les longues enjambées se rapprochent, Palerme est stoïque. Droit comme un piquet, il ne fait plus le malin et toise mon amant, alarmé. Puis, dans un silence total, ce dernier nous fait signe, il nous démontre la grande armoire à l'autre bout de la chambre. Oh non, pas ce coup là. Pas le coup de la cachette dans la penderie... Sauf que nous n'avons pas le choix. Nous sommes des fugitifs. D'un bond, on saute les pieds en avant. On se précipite en espérant ne pas éveiller les soupçons. Nos semelles se font étrangement muettes et ne grincent pas. Nos respirations pourtant saccadées par l'appréhension ne semblent pas emprunts d'une grande sonorité. Je pousse d'un revers de bras mon rival en m'engouffrant dans le petit habitacle. Moi d'abord ! Il m'adresse une moue gênée. Tiens, que lui arrive t-il ? La chute est brutale, n'est-ce pas ? Il sort enfin de sa rêverie à deux balles. Le peu d'espace que nous occupons nous rapproche, je grimace. Je me croirais dans une série B lorsque l'épouse rentre plus tôt, que le mari panique et que la secrétaire va illico se planquer, en oubliant ses talons à côté du lit. Vous voyez le genre ? Il piétine mes orteils en se calant contre la paroi intérieure :

II. Ciao Bella [TOME 2 - La Casa de Papel | Money Heist]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant