J'avais huit ans. J'avais mal, j'avais peur, et je voulais mourir. Je pensais que tout allait enfin finir, quand les secours sont arrivés. Ils me demandaient de m'accrocher et, malgré moi, je les ai écoutés.
D'un coup, il y avait du bruit partout : des hurlements, des sirènes, des ordres criés dans tous les sens... Puis, plus rien. Le noir était total. J'étais perdue, mais ma conscience me soufflait ces trois petits mots : "c'est ta faute".
Je l'avais cherché. À cause de moi, ma famille avait été malheureuse, puis détruite à jamais. Ils me détestaient... Mais pas autant que moi je me détestais.
J'étais coupable... Coupable d'exister.
***
" - Ah bah te voilà ! Je te cherche depuis dix minutes. Tu t'es levée tôt !
Je suis là, assise sur les marches devant l'entrée du manoir. Je guette l'arrivée des invités, un petit carnet intitulé L'Histoire de Camille Delacroix dans les mains. C'est une bande dessinée, écrite il y a plusieurs années ressassant l'histoire de la jeune Camille, battue par ses parents. Elle a été écrite par un ancien ami d'enfance. Les dessins semblent si réels. J'en contemple un en particulier. Un portrait de Camille, assise dans un bureau au tribunal, le nez épaissi par les bandages. Son visage si expressif reflétant sa terreur et sa confusion face au juge des enfants. Elle a des cheveux roux emmêlés, des marques visibles sur son cou, vestige de son passé atroce. Cependant, ce qui me captive le plus, ce sont ses yeux verts emplis de paroles qu'elle ne peut dire. Ils racontent son histoire.
- L'Histoire de Camille Delacroix ? Ce livre ? Vraiment ? Je pensais que tu l'avais jeté dès l'instant où tu l'avais reçu.
- Moi aussi, avoué-je. Je l'ai retrouvé dans un carton.
Pour tout dire, j'avais passé la nuit à le chercher, obsédée par l'idée de le débusquer espérant de toute mes forces qu'il n'ait pas fini à la poubelle. Je ne l'avais retrouvé qu'au petit matin, et l'avais contemplé durant plusieurs minutes avant de me résigner à l'ouvrir. Une fois la lecture terminée, j'avais été prise d'une sensation d'étouffement. J'avais prévu d'aller me promener dans les bois derrière le manoir. J'étais tentée de fuir, mais mes poumons n'avaient pas voulu suivre. Je me suis donc assise sur les marches à attendre que les invités arrivent pour fêter mon dix-huitième anniversaire.
- Super cadeau n'est-ce pas ? ironise-t-elle.
Je fixe l'horizon, afin d'éviter son regard.
- Ils n'arriveront pas avant deux heures de l'après-midi, souffle-t-elle enfin. Tu as donc un peu plus de huit heures de temps libre. J'aimerais en profiter pour t'examiner.
Elle se lève, et me tend la main. J'hésite. Elle finit par s'accroupir face à moi, me prend délicatement le menton pour m'obliger à la fixer dans les yeux.
- Laisse-moi t'aider Camille, s'il te plaît. Cette journée va être chargée en émotions. Or, je sais déjà que tu as recommencé.
Je rougis de honte. Elle est blessée, déçue de savoir qu'une fois encore j'ai mutilé mon bras.
- Je ne le mérite pas.
Les larmes coulent, et je me laisse emporter par l'angoisse de cette journée. J'ai peur de les revoir, après toutes ces années sans eux. Surtout sans elle. Anne. Ma sœur aînée. La dernière fois que je l'ai vue, elle m'en voulait encore. Elle me détestait toujours, et sûrement que ce sera éternellement le cas.
"Arrête de faire celle qui s'en veut ! Tout est ta faute, et tu le sais ! Mais ne fais pas comme si tu t'en voulais vraiment ! Tu les détestais, et moi j'ai tout fait pour toi malgré tout. Et comment tu m'as remerciée ? En détruisant ma vie !".
Les derniers mots qu'elle m'a adressés, avant de partir pour son pensionnat. Le dernier vrai souvenir que j'ai d'elle. Bien sûr, elle était revenue passer les étés avec nous, mais en général, notre tutrice faisait tout pour que l'on ne se croise pas. Je passais donc mes vacances en colonie et en stage de musique. Ainsi, Anne était libre de profiter avec notre frère, Joseph, sans avoir à s'énerver contre moi, ou me reprocher d'exister. Même si, de mon point de vue, elle a raison d'être en colère.
- Je t'aime Camille. Ce n'est pas ta faute... Tu as le droit d'exister.
J'essaye de me raccrocher à ses paroles. Pourtant, je ne peux m'empêcher de me dire que je ne le mérite toujours pas. Je commence à manquer d'air. Elle le sent. Elle se relève, me soulève par les épaules jusqu'à me mettre debout. Elle passe son bras autour de ma taille, et me fait remonter dans ma chambre. Elle ôte ma chemise à carreaux verts et bleus, me laissant en débardeur blanc. Elle me donne une dose de ventoline. Voyant que ça ne suffit pas, elle me branche au respirateur. Elle commence par écouter ma respiration et mon cœur avec un stéthoscope. Puis elle défait les bandages crasseux que j'ai remis autour de mes bras. Elle découvre enfin l'ampleur des dégâts. Ils sont recouverts d'entailles plus ou moins profondes. Elle applique du désinfectant avec un coton, et me remet de nouvelles bandes propres. Je suis tellement concentrée sur ses gestes que ma respiration se calme peu à peu. Elle aussi se détend au fur et à mesure de l'opération.
- Si tu les cherches, elles sont sûrement là dans le coin, lui murmuré-je d'une voix rauque, en pointant du doigt l'angle derrière la porte-fenêtre.
Elle va ramasser les lames et les pose sur la table avec les cotons et les bandages usagés. Elle prend le tabouret à roulettes, et s'assied à mon chevet. Elle caresse mes cheveux roux emmêlés. Dans ce geste, je comprends les mots qu'elle ne dit pas. Elle ne m'en veut pas. Elle est simplement triste et désolée pour moi.
- Ne t'inquiète pas, nous les cacherons avec un de tes t-shirts à manches longues.
Je secoue la tête.
- Ce sont tes amis qui t'inquiètent alors ? Ou bien c'est Anne ?
Je hoche la tête.
- Anne ne doit pas te préoccuper. C'est elle qui a décidé d'elle-même de venir à cette fête. Elle ne fera pas d'histoire. Je crois même qu'elle a quelque chose à te dire.
Je grogne en levant les yeux au ciel.
- Ce n'est pas forcément une mauvaise chose. Nous verrons bien ce qu'elle dit, mais tu ne dois pas te faire de soucis. Je te protègerai. De plus, tes amis seront là aussi pour te porter secours.
Des larmes coulent à nouveau le long de mon visage.
- Tu as le droit d'être aimée Camille, et d'être protégée, et d'être tout simplement. Il faut que tu me croies. Depuis dix ans que je te le répète. Je ne t'aurais jamais menti aussi longtemps. Pas sur ça.
- J'essaye, marmonné-je, en toussotant.
Je ferme les yeux afin de me concentrer sur ma respiration.
- Fais-moi confiance Camille.
Je me tourne face au mur, et elle entreprend de démêler mes cheveux. Je m'endors.
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Coupable d'exister
Teen FictionJ'avais huit ans. J'avais mal, j'avais peur, et je voulais mourir. Je pensais que tout allait enfin finir, quand les secours sont arrivés. Ils me demandaient de m'accrocher et, malgré moi, je les ai écoutés. D'un coup, il y avait du bruit partout :...