Chapitre 7

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Anne refusa de sortir au magasin. Ses quatorze ans lui donnaient l'autorisation de rester seule à la maison quelques heures. Joseph resta silencieux pendant tout le chemin. Evelyn posait des questions dans le vide. Quant à moi, je regardais tour à tour mon frère qui réfléchissait en observant le paysage urbain et notre tutrice qui restait concentrée sur ses questions et la route. Nous arrivâmes dans un magasin de décoration intérieure. Elle acheta des étagères pour Joseph qui allait pouvoir bientôt récupérer toutes ses anciennes affaires. Anne avait déjà tout emporté dans son sac. Il ne lui manquait que ses anciens habits. Je choisis deux tableaux de chevaux. Je trouvais qu'ils allaient bien avec la lampe. Il prit des stickers à colorier à l'encre phosphorescente. Evelyn paya le tout, et nous emmena dans un magasin de jouets. Joseph demanda un ballon de football et des cages pour le jardin. Elle accepta. Je pris un jeu de Kapla, et un autre pour faire des courses de billes. Nous sommes rentrés à la maison. Anne était enfermée dans sa chambre. Elle refusa de sortir jusqu'au dîner. Je retournai dans la mienne pour jouer avec mes jeux. Evelyn m'aida à ouvrir les boites avant d'aller monter les étagères de Joseph. Je ne sus jamais ce qu'elle lui dit ce jour-là, et je crois qu'elle ne s'attendait pas à cet effet, car quand il vint me voir elle parût surprise par ses paroles.

- Evelyn dit que ce n'est pas ta faute, et moi j'ai envie de la croire.

- Pourquoi ? ne pus-je m'empêcher de demander.

- Parce que si j'avais été malade à ta place, rien de tout cela ne serait arrivé. Sauf que je n'y peux rien si je suis malade. Toi non plus. Tu n'as pas eu le choix d'être malade.

Je ne savais pas comment prendre ces paroles. Sous les encouragements d'Evelyn, il vint me faire un câlin.

- Tu sais ça fait trois semaines que j'entends les adultes le dire, et j'ai vraiment envie d'y croire parce que je t'aime, Camille, murmura-t-il.

- Je suis fière de toi Joseph. Je pensais que la tâche serait aussi compliquée avec toi qu'avec tes sœurs. Finalement, tu te montres très coopératif, et j'en suis très contente. Un goûter pour fêter ça ? s'enjoua Evelyn.

Joseph se releva, et m'aida à en faire de même. Ça m'avait fait tout bizarre de recevoir un câlin. Je n'en avais jamais eu. Ils avaient toujours été distants avec moi. Les seuls moments où j'avais eu un contact physique avec ma famille avait été quand ma sœur m'habillait, et quand mes parents me frappaient. Je me sentais tout drôle. Ce n'est que le soir, dans mon lit, que je compris que cela m'avait fait du bien. Mon frère m'aimait. Ce que cela signifiait était encore flou, mais la sensation était agréable. C'était la première fois que mon frère me disait des choses aussi gentilles, mais surtout la première fois qu'on me disait « je t'aime ».

Les jours passèrent. Jennifer nous rendit visite. Joseph et moi la fîmes jouer aux billes avec nous. Elle était contente de voir que nous nous entendions.

- Ça me fait très plaisir de vous voir ensemble. À l'école vous vous évitiez, et là vous paraissez très complice, avait-elle fait remarquer.

Quand Evelyn reprit le travail, Joseph et Anne retournèrent à l'école. Apparemment, elle les envoya dans des établissements privés dans lesquels l'uniforme était obligatoire. Ils avaient des pulls avec des écussons. Le choix des bas était libre, mais devait rester convenable. Je devais rester à la maison, tant que mes poumons ne suivaient pas la cadence. Il fallut un certain temps pour que cela se fasse. En attendant, on déclara mon nez et mon bras guéris, et mes côtes entièrement remises. Quand je pus de nouveau bouger mon poignet et ma main, ce fut une libération. Je fonçai à la douche me laver entièrement sans craindre de mouiller le plâtre. J'avais frotté mon bras avec du savon de toute mes forces pour faire partir l'odeur de renfermé. J'ai commencé la rééducation la semaine suivante. J'avais deux séances par semaine avec la kinésithérapeute. Elle s'appelait Molly, et elle était super drôle. J'ai vite progressé grâce à elle. J'ai retrouvé ma force, et j'ai même développé une certaine dextérité de la main gauche. Pour mes poumons, on m'avait placé une sonde nasale pour faire une « oxygénothérapie ». La nuit, je la retirai pour utiliser l'appareillage PPC. Ainsi, après plusieurs semaines de traitements à base de ventoline de fond deux fois par jours à forte dose et de repos, je commençai à mieux respirer. Evelyn écoutait ma respiration à chaque réveil avec et sans la sonde. Chaque fois, elle répétait la même phrase.

- C'est de mieux en mieux. Je ne sais pas si tu pourras courir le marathon tout de suite, mais au moins pourras-tu tenir toute une journée de classe dans très peu de temps.

J'avais tellement d'espoir de retourner à l'école. Jennifer envoyait des fiches de travail pour moi. Je les faisais avec application. Tous les samedis, elle m'emmenait, avec Joseph, à la bibliothèque. Elle nous y avait inscrits, et j'empruntais des tonnes de livres. J'aimais surtout les romans fantastiques, mais j'aimais aussi lire des livres sur l'espace. Evelyn m'avait également acheté des cahiers d'exercices de mathématiques, de français, de géographie et d'histoire. Je prenais cela tellement à cœur, que je les avais tous finis en un mois. J'avais une très bonne mémoire. Il me suffisait de lire un texte à voix haute, ou de l'entendre, pour que je le retienne. Bien sûr, c'était ainsi dans la théorie. Dans la pratique, il fallait que je l'assimile à des exercices. Comme en mathématiques, ou en français. Ma mémoire ne m'était utile que pour l'histoire.

Quand j'eus fini ces cahiers, je volai les manuels d'école de Joseph. Il était en CM2, et je trouvais bien plus intéressant ses exercices que les miens. Surtout ceux de calculs avec des fractions. Je me passionnais également pour les étoiles. Je lisais plein de livre sur les planètes et l'espace. Le soir, avant d'aller dormir, j'essayais de reconnaitre les constellations avec l'aide d'Evelyn.

Il se passa deux mois ainsi. Quand vint le grand jour où l'on m'annonça que je pouvais retourner à l'école, j'étais aux anges. J'avais tellement hâte, mais il y avait certaines conditions.

- Tu évites de courir, ou de faire des jeux qui pourraient t'essouffler. Tant que tu as la sonde, du moins. Nous aviserons quand elle te sera retirée. Je préfèrerais même que tu restes en classe. Pourtant, je ne t'interdirai pas de prendre un peu l'air, mais dans le calme. Cette année, tu as de la chance : ta classe est au rez-de-chaussée, donc pas de soucis à ce niveau-là. Je compte sur toi, si tu te sens essoufflée, pour demander ta ventoline à la maitresse. Est-ce bien compris ?

- Oui ! m'exclamai-je.

Elle posa mon nouveau cartable vert sur le bureau. Elle y mit ma trousse toute douce en forme de chat et mes cahiers que je devais laisser dans mon casier ensuite. Le lendemain, elle y mit une gourde en inox personnalisée avec un lapin bleu et mon prénom. Elle ajouta un autre inhalateur au cas où, en plus de celui qu'elle allait donner à la maitresse. J'avais enfilé les mêmes t-shirt blanc et pull bleu marine que Joseph, accompagnés d'un collant et d'une jupe noire. Je mis également mon nouveau sweat zippé à capuche vert foncé. J'étais plus que prête pour reprendre l'école. 

Coupable d'existerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant