Chapitre 19

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Le temps avança lentement après cette journée. Une année difficile se passa. Je pleurais beaucoup pendant mes séances quotidiennes avec Ethan. Il avait accepté de me voir une heure par jour après son travail à son cabinet. Je ne repassai pas par la case mutilation et, pour tout le monde, ce fut un soulagement. Joseph obtint son baccalauréat avec mention et fut admis en faculté de médecine. Il décida de vivre sur le campus de l'université. Il voulait se concentrer pleinement sur sa première année.

- Je suis désolée petite sœur. Ce n'est vraiment pas contre toi, mais il y a des séances de travail auxquelles je veux participer, et si je vis ici ça me fera trop tard pour rentrer.

- Ne t'inquiète pas. Je comprends.

De mon côté, pour mes seize ans, Evelyn, convaincue par Ethan et l'autre psychiatre de la maison, Julie, m'autorisa à participer aux séances de groupe de l'association. Ils me jugèrent assez remise et assez lucide pour savoir quelles étaient mes limites. C'est ainsi que dès la rentrée de septembre suivante, je commençais les réunions du mercredi après-midi en tant qu'initiatrice de la prise de parole. Il y avait évidemment un psychologue pour me diriger, mais j'animais la séance, et les discussions sur le sujet de la maltraitance. J'étais devenue comme la porte-parole de l'association auprès de ces jeunes âmes détruites.

C'est ainsi que je m'étais attachée à une enfant en particulier. Elle s'appelait Lucie, et était âgée de treize ans. Elle vivait dans un foyer depuis ses neuf ans. Son frère ainé était comme ma sœur : il la détestait et la blâmait pour tout ce qu'il s'était passé. Malheureusement, elle n'avait pas eu la chance de tomber sur une tutrice comme la mienne. Je l'avais connue grâce à l'association, et au groupe de parole. Elle fréquentait un collège public dans lequel elle ne s'était fait aucun ami. Dès qu'elle le pouvait, elle séchait les cours. Pourtant, elle n'avait jamais manqué une séance avec moi. Je savais qu'elle voulait s'en sortir, mais elle ne savait pas comment faire. Alors, je l'ai guidée. Je l'ai accompagnée afin qu'elle ait ce suivi régulier avec les psychologues dont elle avait tant besoin. C'est tout ce que je pouvais faire pour elle.

Vers le mois de mars, elle a fait une tentative de suicide. La thérapie ne suffisait pas. L'association s'est alors démenée pour lui trouver une place dans un hôpital psychiatrique. Son frère vivait avec elle au foyer. Chaque jour, il lui crachait des tas d'horreurs à la figure. J'avais de la chance qu'Anne ait décidé de s'en aller à l'autre bout du pays plutôt que de se venger. Lucie souffrait énormément. Je comprenais qu'elle ait voulu mettre fin à ses jours. Quelques semaines auparavant, je lui avais présenté mes amis. Ils l'avaient instantanément prise sous leur aile, comme ils l'avaient fait avec moi. Nous lui rendions donc visite tous les samedis. Chaque semaine, nous lui offrions une carte différente. Grâce à nous, elle avait une petite collection. Quand elle est sortie de l'hôpital en août, je la pressentais plus forte, plus sûre à l'instar de moi un an auparavant. Elle avait eu ce petit déclic que j'avais eu au collège. Elle était prête. Son frère était toujours au foyer, mais on lui avait trouvé une famille d'accueil. Le juge qui s'occupait de son cas avait décrété que ce serait plus facile d'assurer un suivi, et de la sortir de l'emprise de son ainé. Malheureusement, cela signifiait déménager dans une autre ville. C'était sa seule option.

- Tu vas me manquer, lui dis-je le jour de son départ.

- Toi aussi. Je ne t'oublierai pas, promit-elle. Tu es mon modèle. Je serais comme toi plus tard.

- Ne sois pas comme moi. Sois toi-même. C'est le plus important.

Je lui tendis une petite carte.

- Si un jour tu as besoin de parler, de rire, ou qu'on te rappelle qui tu es, appelle-moi. Peu importe l'heure, je serai là. En tout cas, je ferai tout pour.

- Merci, dit-elle tout émue.

Je lui fis un câlin, et elle monta dans la voiture de l'éducateur qui devait l'accompagner.

Après cette rencontre, je décidai de ne pas m'occuper uniquement des enfants battus. Je voulais aider les enfants en hôpital psychiatrique. Les jeunes qui avaient déjà trop souffert. Il n'y avait pas que les enfants comme moi qui se sentaient coupables. Je l'avais réalisé en lui rendant visite. Lucie resta longtemps dans ma mémoire. Elle m'aida à me rappeler que je pouvais être utile. Elle m'appelait régulièrement juste pour discuter. Parfois, je lui rappelais qu'elle n'était pas seule, que ce n'était pas sa faute, et qu'elle avait le droit d'exister. Quand je lui parlais, j'avais l'impression de me dire ces mots. C'est ainsi que mon cerveau et mon cœur se mirent d'accord.

Ce n'est pas ma faute. 

Coupable d'existerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant