Chapitre 6

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Je ne me souvenais pas m'être endormie mais, quand je me réveillai, elle était assise sur le tabouret, au milieu du désordre. Je la fixais à travers le rideau de cheveux qui barrait mon visage. Elle écrivait des notes sur un carnet avec un stylo. Elle n'avait pas l'air en colère. Elle avait le front plissé. Elle semblait préoccupée, mais pas fâchée. Je ne bougeais pas. Je la regardais intensément, essayant de comprendre pourquoi elle semblait si calme alors que j'avais ravagé ma chambre.

- Je sais que tu ne dors plus, tu sais ? dit-elle alors.

Je ne dis rien, ne bougeai pas. Je continuais de la fixer.

- Tu respires fort quand tu dors, parce que tu es détendue. Alors que, quand tu es réveillée, tu fais attention. C'est normal. En plus, avec ton asthme mal contrôlé, tu fais de l'apnée du sommeil. Donc quand tu dors, ta respiration se bloque souvent.

Je ne comprenais pas pourquoi elle m'expliquait tout ça, mais je ne lui répondis pas. Je ne voulais pas lui donner une nouvelle raison de s'énerver. Elle ferma son carnet, le posa avec le stylo sur le bureau, et s'approcha de moi.

- Bonjour Camille, as-tu bien dormi ?

Evelyn passa une main sur mon visage, chassant les mèches de cheveux qui me protégeaient. Elle caressa doucement ma joue un instant. Je fermai les yeux, attendant la correction. Rien n'arriva. Elle retira sa main, et poussa un soupir.

- Petit déjeuner ? Tu as manqué le repas, hier soir. Tu dois avoir faim.

Elle se leva, et attendit que je fasse de même. Il était encore tôt. Il faisait encore nuit noire dehors. Elle prit une casserole, mit le lait à chauffer dedans. Je m'installai sur la même chaise que la veille. Elle posa les deux tranches de pain beurrées devant moi, ainsi que le verre de jus d'orange. Je le bus en quelques gorgées. Elle servit le lait dans le bol, et mis du cacao. Elle s'assit sur la chaise à ma droite. Comme la veille, je dus tout finir. J'avais l'estomac noué, ce qui ne facilitait pas les choses. Je me forçai malgré tout. Quand j'eus fini, je l'observai boire son café en fixant le journal posé sur la table. Je ne pouvais pas le lire à cette distance. C'était écrit en tout petit, mais cela semblait intéressant. Elle avait caché le titre de l'article avec une assiette. Elle soupira une fois encore avant de tourner le papier. Elle me fixa à son tour, et je baissai les yeux sur mon bol.

- Voilà ce que je te propose : on va ranger ta chambre, et ensuite nous irons au magasin acheter quelques bricoles avec Joseph et Anne pour que vous puissiez décorer vos murs à votre guise. Ça te convient ?

J'acquiesçai. Je n'étais pas sûre de vouloir voir mon frère et ma sœur, mais je n'avais pas le choix.

- Il faut aussi que nous achetions des craies de couleur. J'ai complètement oublié de le faire, vous n'avez donc que du blanc. Ensuite, nous pourrions aller au magasin de jouets, et vous pourrez en choisir deux chacun. Ça te plairait ?

Nouvel hochement de tête. Les larmes commençaient à rouler sur mes joues. Avec ma main valide, je fis tomber mes cheveux devant mon visage. Je ne voulais pas lui montrer que l'idée ne me plaisait pas.

- Camille parle-moi. Qu'est-ce qui ne va pas ?

- P-p-pourquoi tu ne hurle pas ? Tu n'es même pas fâchée ! dis-je.

- Tu avais le droit d'être en colère. Nous t'avons menti, ce n'est pas rien. Nous sommes donc quittes désormais, d'accord ?

Elle retira les mèches, en se penchant pour me regarder dans les yeux.

- Je suis sincère, Camille. Ce n'est pas grave. Nous allons juste ranger ta chambre, et tout sera fini.

Elle m'accompagna à la salle de bain pour me débarbouiller le visage avec un gant de toilette. La pièce était vaste. Elle prenait quasiment le fond de l'appartement. Il y avait deux portes : l'une menait au couloir, l'autre à la salle de bain d'Evelyn. Les deux portes se trouvaient dans le même angle. En rentrant dans la pièce par le couloir, il y avait l'autre entrée sur le mur de droite. À côté se trouvaient les trois lavabos avec nos prénoms écrits au-dessus de chacun d'entre eux. Il y avait un grand miroir sur le mur. Nous avions chacun notre couleur de serviettes : bleu pour Anne, rouge pour Joseph, et vert pour moi. En face, il y avait la grande baignoire blanche. Il y avait des carreaux de carrelage blancs et noirs sur le mur et le sol. Le rideau de douche était bleu ciel orné de petits canards jaunes comme ceux en caoutchouc pour le bain. Sur la cloison du fond, il y avait un porte serviette, et des porte-manteaux. Tout était vaste et spacieux. Il y avait assez d'espace pour nous trois.

Nous retournâmes dans ma chambre, où je commençai à ranger. Je ramassai les jouets, sans faire de bruit. Anne se réveilla la première. Evelyn alla lui préparer son petit déjeuner pendant que je finissais de ramasser les affaires jetées au sol. Quand elle revint, elle refit mon lit correctement, et y posa ma couverture et mon ours en peluche qui avait été soigneusement lavés par Jennifer. Il n'y avait plus aucune trace de vomi ou de sang. J'ouvris le rideau vert clair en grand, et m'installai sur le matelas en contemplant l'extérieur. Evelyn prit place sur son tabouret, son carnet de nouveau dans les mains. Elle prenait encore des notes.

- Tu écris quoi ?

La question était sortie tout naturellement, sans que je ne le veuille.

- Je mets toutes mes observations sur toi. Ce carnet est vert parce que c'est la couleur que je t'ai choisi. J'en ai un bleu et un rouge pour Anne et Joseph.

- Pourquoi ? demandai-je.

- Tu vois, je suis ce qu'on appelle une psychiatre, en plus d'être simplement un docteur. Ce qui signifie que je soigne les gens malades physiquement et psychologiquement. Pour aider les gens psychologiquement, je dois prendre des notes sur leur comportement, pour trouver le meilleur moyen de les aider. Tu comprends ? répondit-elle.

- Mais, on n'est pas malades.

- Non, je ne crois pas. Seulement, vous avez subi un grand traumatisme. Du jour au lendemain, tout ce que vous connaissiez s'est effondré. Ça a laissé des traces qu'il faut effacer pour ne pas être malade dans le futur.

Je n'étais pas sûre de comprendre. Elle le vit.

- Quand je te dis que ce n'est pas ta faute, par exemple. Ta culpabilité est une marque laissée par tes parents sur ton frère, ta sœur et toi. Ce n'est pas la vérité, mais c'est ce qu'ils voulaient que tu croies. C'est mon rôle, maintenant, de te faire comprendre, ainsi qu'à Anne et Joseph, que ce n'est pas vrai. Parce que si tu continues d'y croire, cela pourrait te rendre malade plus tard, expliqua-t-elle.

- Donc, ce n'est vraiment pas ma faute ? espérai-je.

- Qu'est-ce qui te fait croire que c'est le cas ? s'intrigua-t-elle.

- Je ne sais pas. C'est ce que tout le monde disait à la maison. Surtout maman.

- Tu vois, il n'y a rien qui dise que c'est vraiment toi la fautive. Je sais que tes parents ont eu des problèmes quand tu es née. Je sais aussi que cela a été très difficile pour eux de s'occuper de vous les premières années de ta vie. Cependant, tu n'étais qu'un petit bébé qui venait à peine de naitre. Tu n'aurais rien pu faire pour les aider. Tout comme tu ne pouvais rien faire pour leur nuire. Ce n'est donc pas ta faute.

- Évidemment que c'est sa faute ! hurla Anne en entrant dans la chambre.

J'étais effrayée par son regard. Elle avait les mêmes yeux noirs, vides de toute émotion exceptée la haine, que mon père. Elle semblait si en colère que j'eus un mouvement de recul.

- Anne, calme-toi, l'intima Evelyn.

- Ne me dites pas ce que je dois faire ! Vous n'avez pas le droit de vous mêler de ça.

- Viens avec moi. Tout de suite.

Elles partirent en direction de l'ascenseur. Je ne sais pas où elle l'emmena. Joseph sortit de sa chambre dès qu'il entendit Evelyn partir.

- C'est vrai ce qu'elle dit ?

- De quoi ? demandai-je.

- C'est ta faute ou pas ? dit-il.

- Je... Je n'en sais rien Joseph. Je suis perdue. Je ne sais plus ce que je dois croire.

Je n'étais sûre de rien. J'avais envie de croire Evelyn, mais elle m'avait déjà menti une fois. Comment aurais-je pu lui faire confiance à cet instant ? 

Coupable d'existerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant