La journée portes ouvertes du collège arriva. Nous étions nerveux, mais fiers. Nous avions reçu toutes les commandes à la date prévue, une semaine avant l'évènement. Je les avais réceptionnées, et amenées avec mon frère et Evelyn au collège pour les entreposer dans le local réservé au club. Céleste s'occupait de couvrir nos actions sur les réseaux sociaux. Nous avions reçu des demandes de pull venant d'élèves et de parents d'autres établissement de la ville. Elle avait annoncé à tout le monde que les commandes pourraient être récupérées ce jour-là à partir de dix heures. Elle faisait une bonne promotion du mouvement. Evelyn nous avait aidé à ouvrir une cagnotte de dons pour l'association. Je portais fièrement mon t-shirt vert foncé, et mon sweat à capuche de la même couleur. Mes amis avaient eu cette idée aussi.
Nous mettions en place les cartons que nous avions triés. Chaque commande était rangée par ordre alphabétique. Il ne manquait aucun vêtement. Tout était en place dès neuf heures et demie. Un homme s'avança vers notre stand. C'était une grande table en bois pliable, recouverte d'une nappe rouge et verte, avec une banderole en tissu blanc marquée « Allô 119 ? SOS enfant battu ! » en rouge.
- Bonjour, je suis Anthony Calieto. Je suppose que tu dois être Camille ?
- Bonjour, oui c'est moi.
- Je suis le représentant de l'association pour laquelle vous faites tout cela. Vous étiez en contact avec mon collègue, mais il ne pouvait pas être présent aujourd'hui, s'excusa l'homme.
- Ravi de vous connaitre. Moi c'est Joseph, son frère. Et voici Noémie, Céleste, Antoine, et notre tutrice Evelyn, énuméra-t-il en voyant que je ne répondais pas.
- Je vois que tout est prêt. Je ne sais comment vous exprimer notre gratitude pour votre démarche. D'après ce que j'ai compris, l'un d'entre vous était un enfant maltraité. Camille, pour être exact. Est-ce vrai ? Comment t'en es-tu sortie après tout ça ? Comment en es-tu arrivée à vouloir apporter de l'aide à d'autres enfants comme toi ?
- Ce n'est pas moi qui ai eu l'idée. Ce sont mes amis. Je n'y aurai probablement pas pensé sans eux. C'est grâce à eux, et à Evelyn, que je m'en suis sortie. Avant, je croyais que tout était ma faute. Maintenant, je n'en suis plus aussi sûre, expliquai-je.
- Tu peux être fière de celle que tu es devenue, et vous aussi, assura-t-il en regardant notre petit groupe.
Il était dix heures. Il s'éloigna avec notre tutrice pour discuter en privé. Je me plaçai aux côtés de mes amis, derrière la table. Noémie et moi nous tenions prêtes à prendre les noms, Céleste et Joseph attendait les instructions pour chercher les paquets, et Antoine était à la caisse pour récupérer le reste de l'argent. Nous avions demandé des acomptes pour valider les commandes. Le reste devait être payé aujourd'hui. Il y eut quelques premiers arrivages de gens venus en petits groupes. Le raz de marée de foule n'arriva que vers quatorze heures, juste après notre petite pause déjeuner. Les quelques gâteaux que nous vendions partirent tous à ce moment-là. Il n'en resta plus une miette. Lorsque le dernier pull fut vendu, nous fîmes les comptes. Antoine avait tout pris en note. Il compta tout l'argent récolté que nous avions rangé dans une tirelire en bois construite par nos soins. Il lui fallut une demi-heure, et un coup de main de Joseph.
- Mesdames, mesdemoiselles et messieurs ! Votre attention s'il vous plait ! lança mon frère à l'assemblée.
Céleste filmait le tout avec son téléphone, et rediffusait en direct sur nos réseaux sociaux l'annonce de mon frère qui était debout sur une chaise de classe.
- Nous avons fini de faire les comptes. Roulement de tambour s'il vous plait...
Le public imita le bruit en tapant des pieds et des mains. Nous les suivîmes en frappant sur la table.
- Voici donc le total de la récolte, cagnotte en ligne incluse... Merci à vous tous pour votre participation, et votre soutien. N'oubliez pas que même si les ventes, c'est terminé, nous continuons d'organiser des ateliers autour du sujet des enfants battus, le mardi durant la pause déjeuner.
Il laissa un silence.
- Je crois que je vous ai assez fait attendre. Nous avons donc rassemblé tous ensemble deux mille trois cent soixante-quatre euros ! Félicitations à tous !
Tout le monde applaudit. Nous étions heureux et tellement fiers. La pression avait été grande. C'était difficile de gérer tout ça, tout en restant concentrés sur nos études. Pourtant nous avions réussi. C'était une somme énorme, et c'était le total après déduction des frais de commande des habits et des ingrédients pour les gâteaux. Ce qui signifiait que nous avions récolté bien plus d'argent que ça.
L'association était ravie de notre travail. Ils nous assurèrent que cette somme servirait à aider de nombreux enfants et adolescents. J'appris que certains avaient entendu parler de nous, et nous remerciaient pour tous ces efforts. Ils nous offrirent une carte faite par eux. Ils nous invitaient à venir leur rendre visite dans les locaux de l'association où se déroulaient les séances de groupe avec les psychologues. Ils demandaient à Joseph et moi de venir témoigner de notre histoire avec nos parents, puis avec Evelyn. Nous ne répondîmes pas tout de suite : nous devions en discuter.
La journée se termina. Les cartons étaient vides, la caisse était pleine, c'était le bonheur. Notre plus grande réussite. Nous ne pouvions pas fêter cela le soir même parce qu'Evelyn insistait pour qu'on se repose vraiment. Nous rentrâmes donc vers dix-neuf heures trente, après avoir déposé nos amis chez eux. J'avais gardé la banderole. Je la pliai et la rangeai dans un carton que je gardais au fond de mon placard, là où étaient déjà stockés le petit carnet bleu, ainsi que des anciennes photos de famille que nous avions récupérées quand nous sommes arrivés chez Evelyn. Ce n'était pas grand-chose, mais c'étaient les seuls portraits où ma famille souriait : des moments passés sans moi. Par nostalgie, je les regardai en déposant la bannière. Ma tutrice m'appela pour diner, mais je ne répondis pas.
- Camille ? Tu viens manger ? On t'attend.
- Dis-le moi encore, s'il te plait, la suppliai-je.
Elle s'agenouilla de la même façon que moi, son corps entier tourné vers le mien. Elle prit mon menton entre ses doigts, et m'obligea à la regarder droit dans les yeux. J'avais les poings serrés posés sur mes genoux, et des larmes ruisselaient doucement sur mon visage.
- Ce n'est pas ta faute Camille.
- Encore, murmurai-je les yeux brillants de peur.
Elle me serra dans ses bras, et le répéta encore. Elle desserra mes doigts tranquillement, et retira la lame de ma main. Quand elle l'eut prise, je me détendis subtilement. Je respirai mieux. Je m'étais retrouvée face à cette lame, cachée parmi les vestiges de mon ancienne vie, oubliée de tous. Face à ces photographies, la tentation avait été très grande. Pourtant, j'avais résisté suffisamment longtemps pour que ma tutrice me vienne en aide. Cette personne qui répétait en boucle ce refrain dont j'avais tant besoin.
- Ce n'est pas ta faute. Ne crains rien tout va bien se passer. Je suis là, c'est fini. Camille, fais-moi confiance.
- Je suis désolée, chuchotai-je.
- Ne le sois pas. C'est très bien de ne pas l'avoir fait. Même si nous devons quand même soigner cette main. Tu as tenu le coup, je suis fière de toi.
Elle finit par me lâcher. Elle se leva, et m'aida à faire de même. Nous allâmes dans la salle de bain où elle désinfecta ma blessure pas assez profonde pour des points de suture mais suffisamment pour qu'un pansement avec de la gaze soit nécessaire. Enfin, nous rejoignîmes Joseph dans la cuisine pour profiter des croque-monsieur préparés le matin par Evelyn et lui.
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Coupable d'exister
Novela JuvenilJ'avais huit ans. J'avais mal, j'avais peur, et je voulais mourir. Je pensais que tout allait enfin finir, quand les secours sont arrivés. Ils me demandaient de m'accrocher et, malgré moi, je les ai écoutés. D'un coup, il y avait du bruit partout :...