Cette nécessité de me punir devint une addiction à l'automutilation. Ce ne fut bientôt plus un combat uniquement contre ma culpabilité, mais aussi contre ce besoin devenu essentiel. Evelyn invita Jennifer et Alice à venir dîner afin de discuter de mon cas avec elles. Elle voulait avoir leur avis sur la démarche à suivre. Surtout dès lors que j'avais commencé à le faire à l'école. La première initiative de ma tutrice fut de fermer sa salle de bain à clef. Malheureusement pour elle, je m'étais procurée un bon stock de lames avec mon argent de poche, que je cachais précieusement un peu partout dans ma chambre. Elle en trouva certaines, mais il m'en restait encore beaucoup. J'aurais dû coopérer, mais je ne me sentais pas prête. Je n'avais pas encore totalement confiance. Cela viendrait peut-être un jour. Je m'étais obligée à me poser la question, et à me répondre honnêtement. J'avais fait une sorte d'introspection en allant chercher les réponses au plus profond de mon cœur. Celles-ci avaient surgi après quelques heures de débat intérieur : non, je n'avais pas confiance en Evelyn, ni en Joseph, ou en qui que ce soit. Je ne croyais même pas en moi. La seule en qui j'avais foi était Anne. Elle était celle qui s'était occupée de moi, qui ne m'avait jamais menti, qui m'avait sauvée. Je buvais ses paroles, et elles m'influençaient davantage que celles de n'importe qui. C'est pourquoi je me sentais aussi coupable. Anne était mon héroïne, ma sauveuse, et elle était si persuadée que j'étais coupable, qu'elle me transmettait cette conviction. Elle était la référence de mon inconscient. Voilà pourquoi je me sentais coupable. Pourquoi je n'arrivais pas à ne plus me punir. Elle avait toujours été claire là-dessus : c'était ma faute, je devais être sanctionnée. La méthode l'importait peu. Pourtant, elle m'avait aidée. Elle devait donc savoir qu'il y avait des limites à ces punitions. Cela m'intriguait de savoir pourquoi elle se les était posées. Pourtant, je n'avais aucun espoir d'avoir un jour la réponse.
Evelyn réfléchissait désormais à comment agir pour m'empêcher de me mutiler en cours. Mes notes étaient toujours excellentes, mais ma concentration avait baissé. Mes enseignants de cinquième le lui avait fait remarquer pendant la réunion parents-professeurs. C'est pour cela qu'elle avait demandé conseil à Jennifer et sa petite-amie. Elles ont attendu que Joseph et moi soyons dans nos chambres. Je me suis faufilée dans le couloir pour les écouter.
- Bon, Alice, je ne sais pas si Jenny t'en as parlé, mais Camille traverse une période plus que compliquée.
- Oui, elle m'a dit. La pauvre petite. Qu'est-ce qu'on peut faire ? s'attrista Alice.
- Je pensais prévenir ses professeurs, afin qu'ils la surveillent pendant la classe.
- Je ne crois pas qu'ils le feront. Ils ne peuvent pas se le permettre. Ce serait accorder trop d'attention à un seul élève quand il y en a plein qui sont dans le même cas, expliqua Jennifer.
- Tu as sûrement raison. Mais alors, qu'est-ce que je dois faire ? demanda Evelyn
- Tu dois trouver toutes ses lames, et la fouiller chaque matin avant qu'elle parte à l'école. Je crois que c'est la seule solution. Tu me l'as dit toi-même : elle ne coopère pas, répond sa sœur.
- Selon ce qu'elle a dit à Ethan, c'est devenu une addiction. Elle ne peut plus ne pas le faire.
- S'il y a bien une personne qui peut l'aider, c'est toi. À ton avis, pourquoi je t'ai conseillée au juge ? Je crois en toi Evy.
- On fera tout ce qu'il faudra pour t'aider à l'aider, ajouta Alice.
Je comprenais enfin combien Evelyn tenait à moi. Ainsi que Jennifer et sa petite-copine. Je devais me battre contre ces envies. Je ne pouvais pas blesser les gens que j'aimais. Une nouvelle question me vint : Anne en valait-elle vraiment la peine ? Après tout, quoi que je fisse, ce n'était jamais assez. Elle m'en voudrait pour toujours. Cela ne changerait pas. C'est ainsi que naquit cette idée que je devais accepter que je ne fusse pas coupable. Je comprenais enfin pourquoi quand Evelyn prenait soin de fouiller mes affaires tous les matins, je ne me sentais pas agressée : j'étais confiante. Je me sentais soutenue, accompagnée, aimée, et en sécurité. Avec elle, je n'avais aucune raison d'avoir peur.
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Coupable d'exister
Teen FictionJ'avais huit ans. J'avais mal, j'avais peur, et je voulais mourir. Je pensais que tout allait enfin finir, quand les secours sont arrivés. Ils me demandaient de m'accrocher et, malgré moi, je les ai écoutés. D'un coup, il y avait du bruit partout :...