Chapitre 13

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Une fois rentrée, je fonçai directement dans ma chambre, en prenant bien soin de claquer la porte. Je voulais lui faire comprendre que je ne voulais plus la voir. Elle revint pourtant dix minutes plus tard, une trousse de secours à la main. J'étais roulée en boule, les cheveux cachant mon visage, les genoux repliés contre mon menton. Je me retournai face au mur.

- Camille, laisse-moi voir tes poignets. Il faut que je les désinfecte.

- Va-t'en ! hurlai-je.

J'avais de nouveau du mal à respirer. Cette fois, c'était trop violent. La culpabilité et la rage me privait d'air. Je vomis à moitié sur le matelas, bien que j'eusse le réflexe de me pencher. Comme ça ne s'arrangeait pas, Evelyn appela une ambulance. Les pompiers arrivèrent sur place quelques minutes après. Ils me mirent un masque à oxygène sur le nez et la bouche. Quand l'air entra enfin dans mes poumons, je sombrai dans un sommeil sans rêve.

Je me réveillai à l'hôpital. Cette fois, c'est Joseph qui se trouvait à mon chevet. J'essayai de dire son nom, mais j'avais la voix trop rauque.

- Camille ? Tu es réveillée ! Comment tu te sens ?

- De l'eau, croassai-je.

Il me donna un verre que je bus d'une traite.

- Combien de temps...

- Tu as dormi ? Juste quelques heures. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- Une crise d'asthme, répondis-je.

- Non, je veux dire avec Ethan. Tu semblais bouleversée en rentrant, et tu as claqué la porte si fort que les murs ont tremblé. Pourquoi ?

- J'ai fait une bêtise, avoué-je. J'étais énervée contre moi, et j'avais besoin de me défouler. Seulement, Evelyn est une cible bien trop facile. Elle accepte toujours qu'on soit odieux avec elle quand on a une mauvaise journée, et elle n'est jamais fâchée ! C'est agaçant en un sens, même si c'est aussi ce qui la rend si géniale.

J'étais au bord des larmes. J'avais été méchante avec elle, et je m'en voulais. Elle ne le méritait pas. Pas après tout ce qu'elle avait fait pour nous. Pour moi. Je fondis en larmes sous le regard inquiet de mon frère. Je retirai la sonde nasale qui me permettait de respirer. Du moins, j'essayai car Joseph m'en empêcha.

- Camille, arrête ! Calme-toi ! Evelyn ! dit-il en élevant le son de sa voix à chaque interjection.

Notre tutrice accourra aussitôt dans la chambre. Elle prit mes mains fermement, traçant des cercles doucement avec son pouce.

- Tout va bien Camille. Calme-toi. Je suis là, murmura-t-elle.

Je cessai de me débattre pour la regarder fixement dans les yeux.

- Je suis désolée, chuchotai-je.

- Je sais.

Elle replaça la sonde correctement avant de me prendre dans ses bras pour un câlin. Elle fit de même avec Joseph ensuite. Elle essayait toujours d'être la plus équitable entre nous, de ne pas faire de favoritisme. Je constatais, pendant ce temps, que mes poignets étaient enveloppés dans des bandes de gaze. Notre tutrice m'expliqua qu'elle avait profité de cette sieste forcée pour me désinfecter les bras. Comme ça s'était remis à saigner, elle avait placé des compresses maintenues par des bandages.

- Qu'est-ce qu'elle s'est fait ? demanda mon frère.

- La fameuse bêtise...avouai-je.

- Comment ça ? Qu'as-tu fait ?

Je regardai Evelyn, la suppliant avec mes yeux de lui expliquer pour moi.

- Je crois que ta sœur vient de trouver la pire solution pour se faire pardonner par Anne, hésita-t-elle.

- De quoi tu parles ? s'énerva-t-il.

- Elle s'automutile.

Elle l'avait annoncé dans un souffle. Joseph semblait perdu. Il posa une dernière question.

- Pourquoi ?

Un simple mot qui pouvait avoir tant de réponses différentes, et pourtant si semblables, à la fois.

- C'est ma faute...

- Non ! Arrête avec ça ! Ce n'est pas ta faute. C'est celle de papa et maman, répondit-il abasourdi.

- C'est à cause de moi si tu te fais harceler ! hurlai-je.

- Camille, Joseph, stop. On se calme, déclara doucement Evelyn. Il a raison : ce n'est pas ta faute ma grande. C'est la faute de ces élèves, de ce « reporter » et des sanctions qui ne sont pas prises.

- Et de mes parents aussi, ajouta Joseph.

- Oui. Donc, tu n'as rien à te faire pardonner, Camille.

- Pourquoi je me sens coupable alors ? Je dois bien avoir fait quelque chose de mal, non ? dis-je, les larmes coulant sur mon visage.

- C'est tellement plus facile de croire tes parents, ou ta sœur, que de me croire moi, pas vrai ? Après tout, pour toi, je ne suis pas une personne de référence. Pas pour ton inconscient en tout cas. Je suis celle qui t'as déjà menti, dès le début d'ailleurs. Celle qui s'occupe de toi, mais qui n'est pas ta mère. C'est donc difficile de faire partir ce sentiment que tu ressens depuis ta naissance. C'est ancré en toi, ce qui ne veut pas dire que c'est indélébile. Il faut juste que tu me fasses confiance, et à Ethan aussi.

- Comment ? demandai-je.

- Tu peux commencer par nous dire ce que tu ressens, et pourquoi. Même si tu sens que tu te répètes, ou qu'on t'a déjà répondu, ou que ce n'est pas utile...c'est important.

- Je ne peux pas, je ne peux pas, je ne peux pas, répétai-je en boucle.

- Essaie au moins. C'est en essayant encore et encore qu'on progresse. Ensuite, tu pourrais nous dire quand tu as envie de te blesser. Nous pourrions t'aider à ne pas le faire.

Je me plongeai dans le silence. J'essayais d'absorber ses paroles. Même si j'avais davantage l'impression qu'elles me traversaient, cela me fit du bien. Je me senti un peu rassurée de savoir que je n'étais pas seule, et que quelqu'un croyait en moi.

- Bon, Il faut que Joseph rentre se coucher. Il a cours demain.

- Eh non ! Tu as oublié ? C'est férié.

- Les enfants ont quand même besoin de sommeil. Surtout ta sœur, alors on file. En plus, je ne suis pas sûre que nos amis les soignants soient ravis que nous trainions dans le service en dehors des horaires de visite.

Ils m'embrassèrent une dernière fois, avant de quitter ma chambre. Je restai un long moment dans la pénombre de la pièce, où seule la lumière d'un lampadaire dehors subsistait. Je réfléchissais à ce que je devais faire. Je ne pouvais pas décevoir Evelyn. La première étape était donc d'arrêter les bêtises. Je devais aussi accepter que ce n'était pas ma faute. Il fallait que je fasse confiance aux gens qui m'aimaient. Ma tutrice, sa sœur, Alice, Joseph, Ethan...ils étaient bien plus nombreux à croire en mon innocence. De plus, mes parents avaient fini en prison. Si ç'avaient été réellement moi la responsable, c'est moi qui aurais été punie. Cette réflexion me travailla toute la nuit, y compris quand je m'endormis enfin.


Coupable d'existerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant