Chapitre 17

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Il se passa plusieurs semaines sans que rien n'ait lieu. Je continuais mes séances avec Ethan. Je progressais. Il me le répétait souvent.

- On avance, c'est bien. J'ai la sensation que tu es sur le point d'avoir le déclic dont tu as besoin.

- Quel déclic ? demandai-je.

- Tu le sauras quand tu l'auras eu.

Chaque séance, il me répétait la même chose. Je ne voyais pas ces avancées dont il parlait. J'avais la sensation de stagner. Je voulais me sentir utile. Je voulais prouver que je servais à quelque chose.

- Est-ce que tu penses que faire du bénévolat auprès de l'association, c'est une bonne idée ?

- Tu voudrais ? s'intrigua-t-il.

- Je me disais que je pourrais apporter du soutien aux enfants en participant aux séances de groupe. Je pensais même que je pourrais les animer moi-même. J'imagine que d'après ce que j'ai vécu, ils auraient plus de facilité à me faire confiance.

- Je ne sais pas. Cela pourrait être difficile d'entendre leurs histoires. Tu comprends ? répondit Ethan.

- Je pense être capable de supporter. J'ai besoin d'aider d'autres enfants comme moi. Si j'arrive à leur prouver que ce n'est pas leur faute, alors peut-être que j'arriverai à m'en persuader.

- Tu n'as pas besoin d'eux pour le comprendre, parce qu'au fond tu le sais. Il faut juste que tu apprennes à t'écouter davantage. Cependant, j'entends l'idée, et je te soutiens. Tu pourrais être la personne dont ils ont besoin. Je donnerai mon accord en tant que pédopsychiatre à Evelyn. Toutefois, tu dois me promettre une chose.

- Je t'écoute, affirmai-je.

- N'oublie pas de penser à toi, et écoute toi.

- J'essayerai, promis-je.

À la fin de la séance, il parla avec ma tutrice. Elle était aussi inquiète que lui. Depuis la journée portes ouvertes, elle était sur le qui-vive. Elle refusa la proposition, clamant que je n'étais pas prête à plonger dans cette souffrance collective. Elle craignait que cela ne me fasse tomber plutôt que m'élever. Alors, elle conclut la discussion d'un « non » catégorique, en précisant qu'elle reviendrait sur cette décision dans un an ou deux.

Je n'en parlais plus. J'attendis. Pourtant, il y avait ce vide grandissant en moi. Comme un creux, un abyme de tristesse. J'avais trouvé ce moyen de donner un sens à ma vie, mais je ne trouvais plus d'intérêt à continuer le combat. Après tout, Anne me détestait, et ce n'était pas près de changer, Evelyn passait son temps à s'inquiéter pour moi -elle en oubliait son travail, alors que ses patients comptaient sur elle, et Joseph refusait de partir à la fac pour ne pas me laisser. J'empêchais les autres de vivre correctement. Je commençais à broyer du noir. J'étais inquiète, j'avais peur que ma tutrice décide de se séparer de moi afin de mieux se concentrer sur sa maison de repos. C'était infondé, je le savais bien, mais je ne pouvais m'empêcher d'y penser. Toute cette anxiété finit par me rendre malade.

Lors d'une énième insomnie, je me levai pour aller aux toilettes où je vomi. Je ne mangeais pas beaucoup, et le peu que contenait mon estomac venait de finir dans la cuvette. Evelyn sortit de sa chambre au moment où je retournais dans la mienne.

- Camille, c'est toi ? chuchota-t-elle dans le noir du couloir.

- Oui.

- Va t'allonger, j'arrive.

J'obéis. J'étais de toute façon bien trop faible pour contester. Cela faisait longtemps que je n'étais pas tombée malade. À part mon asthme et mes apnées du sommeil, je n'avais eu aucun souci de santé depuis que j'étais arrivée. Pas même un rhume.

- Tu veux bien qu'on discute ? demanda Evelyn en fermant ma porte.

J'acquiesçai. Elle prit son stéthoscope et commença par écouter ma respiration et mon cœur sous la lumière de ma veilleuse. Ensuite, elle examina ma gorge, mes yeux et mes oreilles.

- Tu es en train de replonger, j'ai l'impression. Je me trompe ?

- Non.

- Tu n'en as pas parlé, pourquoi ? Tu ne pensais quand même pas que cela passerait inaperçu ?

- Je ne voulais pas détruire vos espoirs. Vous aviez tellement l'air de croire que j'allais mieux. Vous avez fait tellement d'effort pour moi, expliquai-je.

- Tu as le droit de ne pas aller bien, Camille. Nous faisons des efforts parce que nous t'aimons, et je crois toujours que tu peux y arriver. Tu peux aller mieux.

Elle marqua une pause le temps de prendre ma température.

- Camille, ce n'est pas ta faute. Tu as le droit d'avoir peur, de te sentir mal, de pleurer. C'est okay. Tu as le droit aussi de garder ça pour toi, même si je préfèrerais que tu m'en parles. Toutefois, je ne t'y oblige pas. N'oublie pas que nous t'aimons, et que nous sommes là pour te soutenir et t'aider. Quand je dis « nous », je parle de Joseph, Jennifer, Alice, Antoine, Céleste, Noémie, Ethan et moi. Nous sommes tous là pour toi, assura-t-elle.

Je fondis en larmes. Toute cette tristesse qui s'était emparée de moi se déversait sur mon visage. Evelyn me fit asseoir, et me pris dans ses bras. Je la serrai en retour. Je m'accrochai à elle, comme à une bouée. J'avais l'impression de me noyer dans un océan, et Evelyn était le bateau qui me sortirait de là.

- Bon, maintenant que c'est dit, parlons de tes nausées. Tu es fatiguée, il faut que tu dormes. Le repos te fera le plus grand bien. Tu as de la fièvre, donc un médicament s'impose pour la faire baisser. Je vais te chercher ce qu'il faut.

Elle se leva, et sortit doucement de la chambre. Le temps que je sèche mes larmes, elle était revenue. Je bus le comprimé pour la fièvre, et pris le somnifère à base de mélatonine qu'elle me tendait. Elle resta près de moi jusqu'à ce que je m'endorme. Cela me prit une trentaine de minutes. En attendant, elle caressait mes cheveux et mon visage. Elle suivait un chemin, toujours le même, qui partait de mon cou vers les racines de mon cuir chevelu. C'est ainsi que je tombai dans les bras de Morphée. Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas dormi aussi bien. 

Coupable d'existerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant