Chapitre 9

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Je passai ainsi le reste de la journée, enfermée dans le noir de ma chambre. Evelyn ne vint que pour le déjeuner. Sachant que je n'étais pas d'humeur, elle déposa simplement un plateau avec deux sandwichs au pain complet avec de la salade, de la dinde et du beurre. Je ne les mangeai pas. Je restai roulée en boule dans mon lit, serrant fort mon ours. Je réfléchissais à comment ne plus être la petite sœur qui a tout gâché. Je voulais trouver le moyen de me racheter. Peut-être cela atténuerait-il ma culpabilité et la rancœur d'Anne ?

Pourquoi était-ce si facile de croire Anne et mes parents, et en même temps si difficile de croire les autres adultes ? Je n'avais pas la réponse, et cela me frustrait. Qui devais-je croire ?

- Camille ? Je peux entrer ? demanda Joseph.

N'entendant pas de réponse, il ouvrit la porte. Mes cheveux et l'obscurité ambiante l'empêchait de distinguer mon visage. Il pensa que je dormais.

- Je suis désolé pour ce qu'elle t'a fait. Elle se comporte comme papa et maman. Ça me met en colère, parce qu'elle te fait porter le chapeau alors que tu n'as rien fait. C'est vrai quoi ! Tu n'as pas choisi de naître. Ce n'est pas toi qui as fait virer maman de son travail. Ils sont idiots de te faire croire le contraire. Je sais que tu vaux mieux que ce qu'ils veulent que tu penses, dit-il tout bas.

- Tu le penses vraiment ? demandai-je.

- Évidemment, m'assura-t-il.

Il vint me rejoindre dans le lit, assez grand pour nous deux. De ses bras, il m'entoura. J'avais ma tête contre son torse. Je me sentais bien. Je le crus durant tout le temps que dura ce câlin.

- Je t'en prie, n'écoute pas Anne. N'arrête pas d'exister. Pas maintenant que je peux enfin te serrer dans mes bras, et t'aimer. J'ai besoin de toi pour ne pas perdre la tête. J'ai besoin d'une alliée dans ce combat contre eux, chuchota-t-il.

Je finis par pleurer. J'essayai, en vain, de retenir mes larmes, mais elles coulaient inlassablement. Mon frère me suppliait d'exister, quand ma sœur voulait l'inverse. Je ne pouvais satisfaire aucun des deux sans blesser l'autre. Je devais choisir. Mais comment faire ?

- Tu viens manger ? demanda-t-il avant que je ne puisse trouver la réponse.

- Je n'ai pas faim, sanglotai-je.

- D'accord.

Il se leva, déposa un baiser sur ma joue, murmura un « je t'aime petite sœur », et s'en alla. À ces mots, je pris la décision de vivre. Anne pouvait trouver un moyen d'être heureuse malgré moi, mais lui avait besoin de moi. Je ne pouvais pas lui infliger une souffrance supplémentaire alors que ma sœur ne perdrait rien de plus si je mourais. J'essayais de me persuader que c'était la chose à faire quand Evelyn vint frapper à son tour. Elle entra sans attendre de réponse.

- Tu n'as pas touché à ton déjeuner ? Très bien, ce n'est pas grave. Mais tu ne peux pas rester sans manger toute la journée.

- Je n'ai pas faim.

- Au moins un des deux sandwichs. C'est pour ton bien, supplia-t-elle.

J'acceptai à contre-cœur. Je le mangeai dans ma chambre assise à mon bureau. Evelyn me brancha ensuite à l'appareil PPC. Je dormis d'un sommeil agité. Je fis des cauchemars dans lesquels étaient représentés Anne et mes parents. Ils me jetaient des pierres, et autres projectiles lourds. Je me réveillai en pleine crise d'asthme, en larmes, tremblante. J'avais dû hurler car Evelyn accourra en peu de temps. Voyant que je me débattais pour respirer, elle ramassa ma ventoline sur le bureau, retira mon masque et m'en donna une bouffée. Lorsque la terreur se dissipa, il ne restait que la culpabilité qui me rongeait de tous les côtés. Je me laissai bercer par Evelyn qui tentait de me rassurer.

- Ce n'était qu'un mauvais rêve. Il ne t'arrivera rien, je te le promets, murmura-t-elle.

Je n'arrivais pas à retenir les larmes qui continuaient de couler à flots. Après dix minutes, elle me redonna une bouffée de ventoline. Je m'accrochai à elle comme à une bouée. Elle ouvrit les volets afin de rendre un semblant de réalité à ma chambre. Je ne la lâchai pas, et elle ne fit rien pour se dégager. Bien au contraire, elle m'encercla avec ses bras, et traça des ronds dans mon dos. La crise mit du temps à passer. Cela me fit du bien. Je me sentais purgée de toutes ces émotions que je ne comprenais pas. Quand les larmes cessèrent enfin, je me sentais plus légère. Toujours coupable, mais plus déterminée que jamais à tenir pour mon frère. Je devais simplement éviter Anne à tout prix.

Ce jour-là, c'est Evelyn qui nous déposa tous à l'école. J'étais à l'arrière de la voiture avec Joseph. Anne était devant.

- Je sais ce que je veux, déclara-t-elle à l'attention de notre tutrice. Je ne veux plus la voir, et tu ne veux plus que je lui parle, c'est bien ça ?

- Pas exactement. Je veux que tu comprennes qu'elle n'y est pour rien. Seulement, je ne peux pas t'y forcer. Cela ne signifie pas pour autant que tu dois être désagréable avec elle, la sermonna-t-elle.

- Je n'y arrive pas. C'est plus fort que moi.

- Qu'est-ce que tu veux donc ? demanda l'adulte.

- Tu as dit que tu nous offrirais tout ce dont on aurait besoin, n'est-ce pas ? vérifia ma sœur.

- Oui, c'est ce que j'ai dit, et je le ferai.

- Alors, j'ai entendu parler de cette école près de Paris. J'ai le niveau pour y entrer, je crois. C'est un collège et lycée très réputé, mais c'est un pensionnat.

- L'école quasi militaire ? Tu veux vraiment y aller ? s'étonna Evelyn.

- J'ai cru comprendre qu'ils avaient un excellent centre de santé à proximité avec des psychologues. Je te promets d'y être suivie, si tu me laisses y aller et y rester les week-ends.

- Est-ce que tu promets de réfléchir avec eux aux questions que je t'ai posées ? s'enquit-elle.

- Promis, jura Anne.

- Alors c'est d'accord. Tu peux passer les tests d'entrée.

Ma sœur remercia notre tutrice. Durant le reste du trajet, elle énuméra certaines conditions supplémentaires. Elle devait avoir des notes correctes, faire un compte-rendu de ses séances chez le psychologue, et lui donner des nouvelles régulièrement. Anne avait donc deux semaines pour se préparer aux examens d'entrée si son dossier était accepté. Si elle partait, je n'aurais plus à l'éviter constamment. Elle pourrait essayer d'être heureuse à nouveau. Peut-être, quand elle reviendrait pour les vacances, serait-elle plus gentille. J'espérais que cette séparation la conduirait à me pardonner. 

Coupable d'existerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant