Chapitre 10

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Il n'y eut pas d'autre incident. Anne me regardait toujours avec haine quand on se croisait, mais mes séances avec Ethan m'aidaient à faire face. Il me prescrivit des médicaments pour me soulager. Evelyn les qualifia d'antidépresseurs. Je ne sentis aucune différence, même après plusieurs semaines. Ma sœur reçut les résultats pour sa candidature après quelques jours. Elle fut autorisée à passer les examens d'entrée. Nous partîmes un vendredi après-midi, tous les quatre, pour l'accompagner dans son école. Les épreuves étaient purement théoriques, et duraient quatre heures. D'après ses dire, c'étaient des questions de QCM. Elle avait hésité sur certaines, mais elle pensait s'en être sortie. Elle obtint la décision finale quelques jours plus tard : elle était admise. Leur niveau de recrutement n'était pas très élevé, mais leur enseignement faisait remonter les notes des élèves les plus motivés. Anne était parmi ces gens. Elle avait la moyenne, mais il lui restait encore du travail pour exceller.

De mon côté, Evelyn fût convoquée par la directrice à une réunion pédagogique. Je travaillais très dur, aussi ma tutrice ne fût pas inquiète. Quand elle rentra, elle était ravie.

- Camille, j'ai une bonne nouvelle !

J'étais intriguée. Je la fixai du regard.

- Ta maitresse trouve que tu as un très bon niveau scolaire. Elle pense que tu devrais sauter une classe. Tes efforts sont récompensés.

Je ne comprenais pas. Je lui demandai ce que cela signifiait.

- Au lieu d'entrer en CM1 en septembre prochain, tu irais directement en CM2. Bien évidemment, tu as le droit de refuser. Ce n'est pas obligatoire, et personne ne t'en voudra de prendre cette décision, me rassura-t-elle.

- Quelle chance Camille ! Le CM2 c'est génial, et si tu peux y accéder plus vite, tu ne devrais pas hésiter, s'extasia Joseph.

- Mais, et si je n'y arrivais pas ? m'inquiétai-je.

- Camille, si tu n'en étais pas capable, personne ne t'aurait proposé cette idée. Cependant, tu n'es pas obligée de prendre une décision tout de suite. D'ailleurs, nous avons d'abord une réunion avec un psychologue de l'éducation nationale, ta maitresse et Jenny. Nous devons en discuter. De plus, l'école a insisté pour faire une évaluation psychologique afin de savoir si tu es prête pour le saut.

- Une évaluation ? questionnai-je.

- Ils ne font pas ça d'habitude, mais tu es un cas particulier. Tu as subi un sacré traumatisme, et ça peut peut-être compliquer les choses. Apparemment, ils ne me font pas confiance en tant que psy, s'agaça-t-elle.

Elle semblait exaspérée. Evelyn jouissait d'une certaine réputation en tant que médecin psychiatre. Sa maison de repos était très recommandée par ses confrères de la ville. Ses parents avaient été eux-mêmes médecins dans le plus grand hôpital de la région. Son père était un chirurgien neurologique très prisé. Sa mère, quant à elle, était l'ancienne chef psychiatre du manoir. Bien qu'ils soient décédés depuis plusieurs années, le nom des Jacob avait sa propre renommée dans le domaine médical. Sans compter qu'Evelyn avait été major de sa promotion, et avait obtenu parmi les meilleurs résultats de sa faculté. Le fait que l'on remettait en cause son jugement- sous prétexte que cela ne faisait pas si longtemps qu'elle exerçait- la désespérait au plus haut point.

Il fallut attendre une semaine avant qu'un rendez-vous ne soit proposé. Jennifer passa nous voir afin de discuter avec moi avant cette rencontre.

- Comment tu te sens ?

- Nerveuse, admis-je.

- C'est normal. N'oublie juste pas que ce n'est pas un contrôle. Toutes les réponses sont bonnes. Tu dois juste être honnête avec lui. De toute façon Alice, Evelyn et moi serons là pour te soutenir. Si tu te sens prête à faire le grand saut, nous t'aiderons pour la transition, m'assura-t-elle.

Quand vint le grand jour, j'étais peu convaincue de ce que je faisais. Pourtant, je voulais sauter cette classe. J'avais envie d'apprendre de nouvelles choses, et je ne voulais pas stagner. D'après Jenny, ce serait mieux pour moi. Je serais enfin à mon niveau et cela aurait plus d'intérêt pour moi. Je pensais être prête.

- Bonjour Camille, je suis Nolan Tomaki. Je suis psychologue scolaire. Comment tu vas ?

- Bonjour, je vais bien, je crois, répondis-je.

Alice, Jennifer et Evelyn avaient dû rester dehors. J'étais donc un peu plus anxieuse que ce matin. Il me posa des questions sur l'école : comment je m'y sentais, si j'avais des copains dans la classe... Je lui répondis le plus honnêtement possible. Il sembla satisfait.

- J'ai une dernière question pour toi : est-ce que tu veux sauter une classe ? Au-delà de ce que pensent les adultes, que veux-tu toi ?

- Je veux apprendre le plus de choses possibles. Même si c'est vrai que ces derniers temps, je commence à manquer d'occupation en classe.

- Très bien. J'en ai fini avec mes questions. Est-ce que tu en as à me poser ? demanda-t-il.

- Non, ça va.

Il ouvrit la porte aux adultes qui attendaient dans le couloir. Il leur annonça que pour lui le passage en CM2 pouvait être validé. Alice s'engagea à faire les démarches. Jennifer s'empressa de lui proposer son aide pour remplir les dossiers. Evelyn, quant à elle, se contenta d'un « je vous l'avais bien dit ». Nous retournâmes à la voiture. Ma maitresse nous accompagna.

- Je suis contente pour toi Camille. Et si l'année prochaine, tu as besoin d'aide n'hésite pas. On se voit lundi, me salua-t-elle.

- Je t'appelle demain, lui dit Jennifer.

Evelyn démarra et quitta le parking. Une fois sur la route, elle demanda à sa cadette :

- Bon alors tu comptes cracher le morceau, ou il faut que je te tire les vers du nez ?

- J'aurais dû parier plus gros ! Je suis sûre que tu as déjà deviné.

- Ah parce qu'en plus tu fais des paris sur ma tête ! ria Evelyn. Alors ?

- Quelle est ta question ?

- Qu'y a-t-il entre Alice et toi ? s'enquit l'aînée.

- Ce n'est pas encore officiel, et je te jure que j'allais te le dire, mais on est plus ou moins en couple, répondit la sœur, incertaine.

- Et alors, tu te sens comment ?

- Ah non ! Interdiction formelle de me psychanalyser ! Je ne suis pas ta patiente, plaisanta la plus jeune.

- Je demandais juste, dit Evelyn en riant.

Elles parlèrent de comment le coup de foudre avait eu lieu entre mes maîtresses de CE2. Rien de très romantique : elles avaient beaucoup parlé de moi, et s'était rencontrée dans un café pour continuer la discussion. Cela avait dérivé sur leur passion commune qu'était l'enseignement. Elles se sont rendu compte qu'elles pensaient de la même manière. Elles continuèrent donc de se côtoyer, et très rapidement elles se mirent en couple. Tomber amoureux paraissait si simple avec elles. J'étais contente de voir mes deux maitresses préférées s'aimer ainsi. Elles me rappelaient l'amour que se portaient mes parents.

Quand la démarche fût validée, notre tutrice invita mes deux maitresses et nous trois au restaurant. Elle voulait fêter notre scolarité couronnée de succès malgré cette année mouvementée. Le repas eut lieu le dernier vendredi d'école. Nous allâmes dans un restaurant italien très chic. Alice était habillée d'une jupe noire longue avec un chemisier blanc. Elle portait des sandales en cuir noir. Jennifer était assortie à sa sœur. Elles étaient vêtues d'un jegging noir accompagné d'une chemise. Rouge pour la cadette, bleue pour l'ainée. J'avais opté pour un short à bretelles en jean bleu, avec un t-shirt à manches courtes orange -signe d'une petite victoire personnelle contre mes peurs. Joseph avait mis un bermuda rouge avec un t-shirt couleur framboise. Ce haut faisait paraître ses yeux encore plus clairs, comme des émeraudes. Enfin, Anne portait une robe blanche avec des motifs en dentelles. Pour la première fois depuis que nous avions emménagé chez Evelyn, elle semblait heureuse. Elle ne fit aucune remarque, même si elle ne m'adressa pas une seule parole. La soirée fût la meilleure depuis ma naissance. Pourtant, je sentais un léger malaise s'installer en moi. Les vacances allaient commencer. Evelyn voulait nous emmener en voyage dans les Alpes pendant un mois. Je craignais qu'Anne ne soit déçue de savoir que je devais venir. Nous allions prendre le train, vivre dans le chalet de notre tutrice, faire des randonnées... tout ça pour la première fois. Je ne voulais pas tout gâcher. 

Coupable d'existerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant