II

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        Dradon n'avait jamais paru aussi éclatante de vie. Nous étions au milieu de l'été et le soleil graciait les habitants de la capitale de rayons bienvenus, apportant chaleur et lumière après un printemps des plus ternes. Émilie marchait avec conviction, pesant chaque pas. Parfois elle hasardait un regard autour d'elle, découvrant à chaque fois des visages heureux et souriant. Bien sûr elle n'avait aucune idée du contexte de ces rictus, mais savoir que d'autres gens vivaient apparemment eux aussi leur jour de bonheur l'emplit de sérénité. Sans s'en rendre compte, elle atteignit la Ligne Verte, seule voie amenant au Tribunal de la Magie, demeure des Archi-Mages.

         Cela faisait plus de trois siècles que Dradon avait été nommée capitale de l'Empire réunifié de Reven Terwin. Bastion de la Magie, c'était là qu'étaient nés les premiers Archi-Mages, ces humains ayant fusionnés leur corps avec cette mystérieuse énergie. Depuis, on avait créé de nombreuses écoles de Magie aux quatre coins de l'Empire. C'était là que de jeunes Mages étaient formés dès l'enfance. En plus d'une éducation spécialisée et stricte, on y enseignait le contrôle de la Magie et les techniques qui en découlaient. Au prix d'une gigantesque somme d'argent et d'un abandon total de leur progéniture, les parents pouvaient y placer un ou plusieurs de leurs enfants. Bien que cette procédure n'ait aucun effet bénéfique direct pour eux, c'était un atout prestigieux et presque essentiel dans la haute société. Une fois placé dans une de ces écoles, leur descendance était certaine de faire partie d'une élite inatteignable autrement.

         En examinant la gigantesque horloge du palais, qu'Émilie parvenait à observer depuis le bas de la colline, elle s'aperçut qu'elle était arrivée avec dix minutes d'avance. Elle pourrait monter tout de suite, mais elle savait pertinemment que l'Archi-Mage Byrd tolérait très mal les écarts de temps, qu'ils soient négatifs ou positifs. Et puis, elle n'avait vraiment pas envie d'attendre tout là-haut, à la merci d'une chaleur étouffante. Alors, pour la première fois depuis plusieurs minutes, elle se tourna vers son amie. Si d'ordinaire celle-ci affichait une expression enjouée et agréable, comme lors de leur discussion précédente, Émilie constata avec surprise que son visage était vide d'émotion. Sa camarade remarqua l'examen d'Émilie et tâcha d'arborer un sourire qui semblait tout sauf naturel. Sentant la gêne arriver, elle engagea une discussion :

— Tu... Tu n'y vas pas mon chou ?

— J'ai un peu d'avance. Ça ne va pas ?

— Si, bien sûr que ça va. Pourquoi ?

— Tu tirais une de ces têtes. Qu'est-ce qui t'arrive ?

— Rien, c'est juste que... Est-ce que tu te souviens de tes parents ?

— D'où tu sors cette question ?

— Une curiosité, c'est tout.

— Eh bien, d'après ce que je sais, mes parents m'aimaient mais c'était impossible pour eux de me garder, pas assez d'argent ou quelque chose dans le genre. Un de leurs amis a accepté de s'occuper de moi, il travaillait dans un orphelinat qui ensuite a été changé en école de Magie. J'y étais dès le début alors, tu es arrivée un peu plus tard si je me souviens bien. Mais donc, j'étais un bébé quand ils m'ont abandonnée, et je ne les ai jamais revus, alors non je n'ai pas vraiment de souvenir d'eux.

— Donc tu serais incapable de les reconnaître si tu les voyais ?

— J'imagine. Peut-être qu'eux y arriveront, mais je ne vois pas comment moi j'y arriverais. Pourquoi tu me demandes tout ça ?

— Vois-tu mon chou, je crois que moi aussi on m'a abandonnée. Je n'entrerai pas dans les détails, mais moi non plus je n'ai aucun souvenir de mes parents. Et comme toi, je me disais qu'il me serait impossible de les reconnaître.

— Attends, ne me dis pas que...

— Si. Il y a à peine une ou deux minutes. Ils étaient obnubilés par une montre à gousset dans la vitrine d'un horloger. J'ai essayé de faire comme si de rien n'était.

— Comment peux-tu être aussi certaine ?

— Je ne sais pas mon chou, je ne sais pas. C'étaient mes parents, je le sens.

— Mais c'est impossible... Et puis, qu'est-ce qu'ils feraient là ? Je croyais que tu venais de...

— Ça n'a pas d'importance mon chou. Ils sont là, c'est tout. La seule question que je me pose, c'est s'il faut que je fasse demi-tour et aller à leur rencontre, ou les ignorer comme je l'ai fait toute ma vie. Qu'est-ce que tu me conseilles mon chou ? Est-ce que ça risque de gâcher mon jour de bonheur ?

— D'habitude c'est plutôt toi qui sais pour ce genre de choses.

— Je sais, mais ce n'est pas pareil. S'il te plaît Émilie.

— Eh bien... Si ça t'obstine autant, alors j'imagine que ça peut valoir le coup. Va les voir, mais ne leur dis pas tout de suite que tu es leur fille. Trouve un prétexte pour te rapprocher d'eux. En plus, ce ne sont peut-être pas tes parents après tout.

— Et s'ils me reconnaissent ?

— Je pense que ça serait un bon signe. Ça montrerait que tu es importante pour eux.

— Ou que je l'étais.

— Dire que je croyais être la plus stressée aujourd'hui... Désolée, mais je n'ai plus temps pour en parler, décide toute seule. Si tu penses que c'est important, alors fais ce que tu as à faire.

— D'accord... Bonne chance Émilie. Et, merci.

— A ton service ; mon chou.


[OLD] Le Jour de Bonheur d'ÉmilieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant