VII

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        La boutique de Benjamin Tavier, sobrement nommée « Cœur de bois » respirait la tranquillité. En fait, Émilie et son amie étaient déjà entrées depuis plusieurs minutes, sans qu'aucun vendeur, ou Benjamin lui-même, ne vienne les accueillir. Elles s'étaient faites très discrètes, afin d'examiner tranquillement la boutique tant qu'elles étaient seules. L'endroit était grossièrement composé de deux petites allées séparées par trois grandes étagères auxquelles s'ajoutaient trois autres pour chacun des côtés de la pièce. Les nombreuses sculptures étaient regroupées en familles. Émilie avait repéré le groupe des écureuils, des chevaux, des chiens, des chats, des grenouilles, des meubles miniatures, ou encore celui des arbres. Ce dernier était plutôt particulier. On pouvait aisément comprendre que chaque sculpture était faite du bois de l'arbre qu'elle représentait. Cependant, en fouillant plus profondément dans les rangées, on remarquait que celles du fond étaient toutes taillées dans du chêne très basique, nonobstant leur représentation. Aussi, une certaine quantité de poussière s'accumulait autour des ouvrages, de toutes sortes cette fois-ci. Rien qui ne pouvait nuire à la réputation de l'endroit, mais tout de même remarquable.

         Cependant, tous ces précédents détails ne s'appliquaient pas à une certaine partie de la boutique. Sur un présentoir proche du comptoir de vente et de l'accès à l'arrière-boutique, là où il n'y avait que des sculptures de femmes, accompagnées d'un chien. Si Émilie était plutôt impressionnée de la minutie des autres compositions, là elle était bluffée. Malgré leur petitesse, on pouvait y lire le moindre détail. D'un pli de robe, aux rides du visage, à la trace laissée par une larme. Individuellement, ces sculptures étaient de véritables bijoux en la matière, exemptes du moindre du défaut, peut-être ce qui se rapprochait le plus de la perfection. Mais d'après Émilie, cette perfection était atteinte quand on les regardait dans l'entièreté. Chacune représentait une situation, souvent accompagnée d'une émotion. Mise bout à bout, on pouvait en déterminer une histoire, sûrement des plus poignantes, avec une profondeur insoupçonnée. Car en effet, sur ces sculptures, il s'agissait toujours de la même femme. Et probablement du même chien. On pouvait la retrouver radieuse, dansant dans une robe digne des bals les plus prestigieux, puis encore souriante, prête prendre le chien dans ses bras, et quelques scènes plus tard la voilà, assise, ignorant le chien, avec sur leur visage à tous les deux quelques larmes. Des larmes de regret c'en était certain. Émilie, sentant son imagination déborder, eut un frisson et crût même qu'elle allait se mettre à pleurer. Voyant son désarroi, son amie s'approcha d'elle et lui prit la main. Sa chaleur était salvatrice.

— Tu vas bien mon chou ?

— Oui... Oui, c'est... C'est juste cette femme.

— Elle est très belle. Qu'a-t-elle donc ?

— Je ne sais pas... Ça semble si triste...

— Peut-être. Je ne saurais pas trop dire. Elle est partout, ça c'est certain.

— Tu penses qu'elle a un rapport avec Tavier ?

— C'est évident. D'ailleurs, c'est très étrange qu'il ne soit pas là.

— Oui. Ça fait déjà presque cinq minutes qu'on est entrées, et personne. Pourtant c'est bien indiqué « ouvert ».

— Il doit être bien occupé. Je crois entendre du raffut à l'arrière. Je vais appeler. Prête pour une petite inspection ?

— Bien sûr. Quel baratin prépares-tu cette fois ?

— Oh, tu me connais. J'improviserai.

— Parfait. Allons-y.



[OLD] Le Jour de Bonheur d'ÉmilieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant