[OLD] Le Jour de Bonheur d'Émilie

VI

        Émilie repartit sans attendre. L'Archi-Mage lui avait confié une mission, et elle comptait bien la remplir. Certes son attitude et sa manière de parler ont pu la brusquer, mais rien de suffisant pour ébranler sa foi et sa confiance. Et pourtant, il y a bien une chose qu'elle ne lui avait pas révélée. Depuis qu'elle avait commencé à marcher, à chacun de ses pas, elle inventait un nouveau mensonge pour justifier cette légère dissimulation. Sans doute l'avait-il déjà remarqué, ou bien que ce détail n'eût aucune importance, peut-être l'a-t-elle simplement imaginé. Elle se voilait la face, et son rythme de marche ne faisait que diminuer, jusqu'à ce qu'elle s'arrête tout à fait, seule et, comme elle l'espérait, sans personne pour l'observer. Mais fatalement, son amie sortit des buissons et se précipita pour l'enlacer de joie. Émilie ne répondit pas à son embrassade.

— Oh mon chou ! Je suis si fière de toi, tu as été fantastique !

— Je pensais que tu étais partie résoudre ton histoire de parents.

— Le choix était vite fait. Je sentais qu'il t'arriverait quelque chose de spécial, et mon flair ne m'a jamais trahie !

— Pourtant j'ai quelques souvenirs qui me reviennent...

— Mais aucun où je me trompe sur ton sujet, n'est-ce pas ?

— Peut-être. Je crois que je vais t'accorder ce point.

— Mais bien sûr ! C'est ton jour de bonheur Emilie chou, je suis tellement heureuse ! Tu lui as fait de l'effet à Byrd, je le sais !

— Archi-Mage Byrd.

— Ne commence pas à faire la grande ma chère, ça pourrait jouer en ta défaveur.

— Comment as-tu fait pour passer d'ailleurs ?

— Moi ? Rien de spécial, j'ai dit que je t'accompagnais, ils n'ont rien dit, mais je suis passé quand même. Peut-être que Byrd leur avait dit de laisser passer quelqu'un, et qu'ils m'ont confondue.

— Ça me parait improbable. Soyons déjà contentes qu'il ne t'ait pas remarquée.

— Ah mais il m'a bien vue.

— Pardon ?!

— Je lui ai souri et ai fait un petit signe de la main. Le coquin ne m'a pas répondu mais il semblait... Intrigué, je dirais. Peut-être que je lui ai fait de l'effet aussi. Si ça se trouve, je deviendrai Archi-Mage à ta place ! C'est aussi mon jour de bonheur après tout !

— Personne d'autre que moi n'est censé être au courant de cette mission ! Tu te rends compte de ce que ça implique ?!

— Mon chou, calme-toi un peu. C'est l'Archi-Mage de la guerre, est-ce que ça t'étonne à ce point ? Il m'a vue et pourtant je suis là à te câliner. Et j'ai bien l'impression qu'il m'autorise à le faire.

— En parlant de ça, tu peux me lâcher maintenant.

— Oh que non. Pas tant que tu n'auras pas répondu à mon étreinte.

— Sérieusement ?

— S'il te plaît Emilie chou... C'est aussi mon jour de bonheur ; et puis... J'ai vraiment eu peur pour toi là-bas... J'en ai besoin, tu comprends.

— Arrête. Si c'était le cas tu serais venue m'aider.

— Pourquoi cherches-tu autant à rejeter ma demande ? Je veux juste un petit câlin...

— Toi, franchement. Bon, d'accord...

         Et Émilie l'étreignit à son tour. Si les premières secondes on aurait pu penser qu'elle ne faisait que répondre à une contrainte dérangeante, bien vite une expression des plus sincères se peignit sur son visage. Pour rien au monde elle aurait échangé cette sensation pour une autre. Même en vivant plus d'un siècle en tant qu'Archi-Mage, elle doutait pouvoir trouver quelque chose d'équivalent. Jamais on n'arriverait à égaler la douceur d'un moment comme celui-ci, à reproduire une telle chaleur. Cette fille était vraiment spéciale. Elle savait comment la rendre heureuse.

— Je me disais... Et si tu m'accompagnais ?

— Pour ta mission ?

— Oui. Je... Je ne pense pas que l'Archi-Mage Byrd y verrait un inconvénient, tant que je remplis ma tâche. Enfin, si tu es d'accord bien sûr.

— Émilie... Tu te doutes bien que oui. Ça me ferait très plaisir.

— Alors faisons-le, une dernière fois. Pour notre jour de bonheur. Allons tuer, ensemble.

— Oh oui ! Il n'y a que toi qui peut me faire sourire comme ça !

— Toi aussi...

         Et elles continuèrent de s'étreindre, pensant naïvement qu'il n'y avait personne pour les voir.