Chapitre 16

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Nous mangeâmes en silence. La peur nous avait tellement habité que nous n'avions pas réalisé à quel point nous avions faim. Je ne laissai aucune miette dans mon assiette et finis ma bouteille d'eau. Pourquoi nous traitaient-ils si bien ? Le conte d'Hanzel et de Gretel vint avec perfidie taquiner mon esprit. Se pourrait-il que nous soyons tombés sur des cannibales ? Je secouai la tête pour chasser cette pensée, mais il était trop tard, l'angoisse avait refermé sa main sur mon cœur.

Nous ne parlions plus depuis que ces hommes étaient entrés. L'atmosphère redevint pesante, je me sentis presque étouffer. Steve dut ressentir la même chose car, se tournant vers Aaron, il demanda d'une petite voix :

— Peut-on reprendre... notre jeu ? Je ... ne me sens pas bien dans le silence.

— Oui, bien sûr, approuva le leader. Qui veut continuer ?

— Je peux, murmura Greg.

Aaron hocha du chef et fit signe à Why de commencer. Un étrange pressentiment m'étreignit alors que les prunelles grises du gothique s'accrochaient aux miennes.

[...] Il suffirait simplement

Qu'il m'appelle [...]

Lui raconter mon enfance

Son absence

Tous les jours

Comment briser le silence

Qui l'entoure [...]

Mon cœur se serra avant même qu'il ne chante le refrain. La mère de Greg était française. Le gothique parlait cette langue chez lui et était parfaitement bilingue.

[...] Aussi vrai que de loin je lui parle

J'apprends tout seul à faire mes armes [...]

[...] Est ce qu'il va me faire un signe

Manquer d'amour n'est pas un crime [...]

La voix de Greg était si puissante que je sentis l'air vibrer. Son léger accent rendait les mots plus doux, moins tranchants. Il enchaina le second couplet et je sentis ma gorge se serrer alors qu'il prononçait avec hargne « À part d'un père je ne manque de rien ». Mon corps frissonna davantage alors qu'il reprenait le deuxième refrain.

[...] Manquer d'un père n'est pas un crime

J'ai qu'une prière à lui adresser

Si seulement

Je pouvais lui manquer [...]

- Si seulement je pouvais lui manquer, Calogero

Les larmes roulaient sur les joues de Greg alors que sa voix se fissurait. Il tenait sa tête du bout des doigts, comme si elle était trop lourde à porter. La deuxième agrippait fermement sa poitrine, là où son cœur saignait. Aussi vrai que je ne me souvenais pas de mes vrais parents, Greg se souvenait très bien de son père. Père qui avait choisi de l'abandonner, laissant son fils seul avec une mère alcoolique. Livré à lui-même, Why s'était construit avec le vide d'un parent absent et le traumatisme d'un abandon.

La voix du chanteur finit de se briser alors qu'il prononçait les dernières lettres. Il posa sa main sur ses lèvres tremblantes, étouffant le sanglot qui menaçait d'éclater. Malgré ses paupières fermées, les larmes continuaient de tracer des sillons sur son visage empli de tristesse.

Je ne m'aperçus même pas que je pleurais tant j'étais envahi par la détresse de mon ami. Même en rentrant à la villa, il ne semblait pas si bouleversé. Pendant un instant, notre enlèvement fut le dernier de mes soucis. J'aurais tant voulu le serrer contre moi et ne plus le lâcher. Lui montrer que quoi qu'il arrive, je serais là. Il aurait passé ses bras autour de mes côtes et m'aurait serré jusqu'à les sentir se fêler. Je l'aurais tenu fermement jusqu'à ce que ses larmes se tarissent. Pourtant, je ne pus rien faire de cela. Je ne pus que le regarder de loin, enchainé et impuissant. Aaron, Gabriel et Steve semblèrent penser la même chose. Ils étaient aussi émus que moi. Après de longues minutes, la crise de larmes finit par cesser. Greg essuya ses yeux avec le bas de son t-shirt.

— Mon père est parti quand j'avais treize ans. Ma mère a sombré dans l'alcoolisme. J'ai fait de mon mieux pour la soutenir, mais dernièrement je n'y arrivais plus.

— Tes blessures, l'autre jour... commença Aaron.

— Oui, c'était elle. J'ai voulu lui prendre la bouteille des mains, mais elle ne voulait pas me la donner. C'est moi qui ai lâché le premier et elle m'a frappé avec.

Steve laissa échapper une exclamation avant de poser sa main sur sa bouche, profondément choqué. Gabriel jura tandis qu'Aaron gardait le silence.

— Pourquoi n'as-tu rien dit ? demanda finalement le leader.

— Parce que ça n'avait aucune importance ! Même Daniel, que je connais depuis l'enfance, ne savait pas que mon père était parti. Je ne le lui ai dit que lorsqu'il a constaté les marques de coups.

Aaron et Gabriel se tournèrent de concert vers moi, l'air de dire : c'est bien vrai ? J'acquiesçai calmement, les yeux toujours embués de larmes.

— Cet homme, qui m'a caressé les cheveux... je suis sûr que c'est mon père, murmura Greg.

— Quoi ?

Nous nous écriâmes en même temps, si bien que Greg grimaça. Aaron réalisa notre bévue et se racla la gorge.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? s'enquit-il auprès du gothique.

— Ses yeux. Mon père avait les yeux vairons, un gris et un bleu, exactement comme ce type. Il me caressait la joue de la même manière lorsque j'avais peur les soirs d'orage. C'est lui, j'en suis sûr.

Pourquoi nous aurait-il tous enlevés ? S'il voulait Greg, il n'avait pas besoin d'enlever l'ensemble de DNA. La question resta en suspend au dessus de l'autel.

— Ces hommes, ils utilisent les mêmes mots que mon père juste avant son départ subit. Les étoiles, Archenar - que j'ai entendu avant de m'évanouir - le bon chemin. Tous ces mots, je les ai entendus dans la bouche de mon père avant qu'il ne disparaisse.

Gabriel secoua la tête, les yeux écarquillés, ne comprenant rien de ce que Greg disait. Je n'étais moi-même pas sûr de comprendre où voulait en venir mon ami. Aaron et Steve échangèrent un regard horrifié. Le leader interrogea d'une voix tendue :

— Tu ne penses tout de même pas que... ?

— Si, j'en suis convaincu.

— Putain, on n'est pas dans la merde ! jura Gabriel.

— Mais de quoi vous parlez ? s'énerva Steve.

Le déclic s'opéra dans mon esprit alors que mes yeux observaient les symboles rituels de l'autel. La terreur me submergea, si bien que je fus déconnecté de la réalité l'espace d'un instant. J'eus envie de hurler, de me débattre, de vomir même. Mais je ne fis rien de tout cela. Je fixai le sol, amorphe, avant de murmurer.

— Une secte... Nous avons été enlevés par une secte...

 Nous avons été enlevés par une secte

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Enlevés par les DisciplesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant