Prologue : Le présent de la Seine

102 5 1
                                    

     On dit qu'il y a bien longtemps, le monde était peuplé de féerie. Farfadets, ondines, sylphes et lutins marchaient parmi les humains, offrant au monde un peu de leur magie.

     Paris, comme toutes les grandes villes, bénéficia de leur présence enchanteresse. Mais, avec le Progrès et l'avènement des Sciences vint l'âge sombre de la féerie. Les fées, qui ne voyait plus leur place dans ce nouveau monde où les machines prenaient le pas sur la magie, choisirent de s'éloigner des Hommes et retrouvèrent leurs berceaux originels. Forêts, fleuves et montagnes retrouvèrent ainsi leur petit peuple qui, avec les années, devint si discret que les humains finirent par les croire conte de fée.

     Notre histoire débute dans ce monde d'après où les fables et les contes de fée demeurent les derniers témoins de la féerie d'antan et où les Hommes ont oublié le goût de la magie.

     Traversant de bout en bout Paris, la Seine s'étendait langoureusement, ses eaux à peine troublées par la danse hésitante des flocons de neige. À cette heure tardive et en ce jour de Noël, chacun se trouvait chez soi à fêter la sacro-sainte fête, la préférée des enfants de tout le pays à qui il tardait de s'endormir pour retrouver au réveil une montagne de cadeaux au pied de leur beau sapin.

     La Seine, elle, coulait tranquillement, son clapotis délicat flattant les berges avec douceur. Ce cadre de poésie paisible aurait pu rester ainsi, si une main n'avait pas soudain jaillit des profondeurs du fleuve, rapidement suivit par une autre et finalement une tête qui ouvrit grand la bouche pour inspirer un peu d'air. Les bras battirent dans l'eau, prit de panique. Par miracle peut-être – ou la Seine repoussa-t-elle l'intrus bien loin de son ventre – la jeune femme qui venait d'apparaître parvint à s'accrocher à la berge.

     Usant de toutes ses forces, désespérée, elle s'y hissa après maints efforts et reprit son souffle. Sa respiration, bien que laborieuse, lui procura un étrange sentiment de soulagement alors même que ses poumons la brûlaient affreusement et qu'elle toussa à s'en écorcher la trachée. Puis, quand son cœur recouvra un rythme décent, elle parvint à se redresser, ses membres tremblants férocement autant de froid que de fatigue.

     Debout sur la rive, elle regarda tout autour d'elle, trempée jusqu'aux os, frissonnant de tous ses membres. Elle était si confuse qu'elle remarqua à peine la neige qui tombait ou son manteau blanc dans lequel elle laissait de profondes traces à force de tourner et retourner sur elle-même. Mais elle eut beau regarder autour d'elle, elle ne reconnaissait absolument rien et le soulagement qu'elle avait d'abord ressentit en s'extirpant enfin de l'eau s'évanouit.

     – Où suis-je ? ne cessait-elle de répéter. Où est-ce que je suis ? Où...

     Par la force de ses instincts de conservations peut-être, elle referma ses bras sa poitrine et se mit à marcher. D'un pas hésitant, parfois maladroit et souvent chancelant, elle progressa le long de la Seine, observant autour d'elle complètement perdue les grands bâtiments qui la dominaient de leur hauteur. Elle ne savait pas même où elle se dirigeait, mais quelque chose la poussait à continuer d'avancer, ne surtout pas s'arrêter.

     Son cœur était lourd dans sa poitrine, son souffle douloureux alors que la froidure de l'hiver semblait lui lacérer les bronches déjà irritées par les eaux de la Seine et la toux qui en résulta. Rapidement, ses dents se mirent à claquer, si fort en fait que ses mâchoires qui se contractaient compulsivement lui firent mal. Un abri, parvenait-elle à peine à songer. Un abri... Il lui fallait trouver un abri.

     Les Anges semblèrent l'entendre car, alors qu'elle boitillait misérablement, une voiture s'avançait dans la rue en parallèle. À son bord, un jeune seigneur, vicomte depuis voilà quelques années après la mort prématurée de son père, s'apprêtait à rentrer chez lui pour les fêtes. Cela faisait bien des mois qu'il n'avait pas revu sa famille et avait hâte de leur faire la surprise.

Eugénie (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant