Chapitre 3 : Une ombre dans la nuit

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     Il faisait sombre. Daisy marchait à pas lent dans le long couloir, seulement éclairée par les éclairs qui jaillissaient des ténèbres par intermittence. Des cadres décoraient les murs, tous vides, tandis que les grandes fenêtres qui leurs faisaient face donnaient sur le plus effroyable des orages. La pluie battait furieusement aux carreaux, le tonnerre grondait. Pourtant le silence était maître des lieux, assourdissant tout du chaos qui se déchaînait au-dehors.

     C'était une vision étrange aux contours flous comme un rêve mais à l'intensité familière. Daisy avait l'impression de connaître cet endroit. Ce long tapis pourpre, elle l'avait déjà foulé, ces tableaux sans peintures, elle en reconnaissait chaque détail des cadres finement sculptés.

     Mais alors, où était-ce ? Et d'où venait ce sentiment qui lui écorchait le cœur à cette vue, cette inquiétude qui lui serrait soudain la gorge, lui nouait l'estomac ?

     Plus elle progressait dans le long couloir, plus certains détails lui sautaient aux yeux. Comme cette chemise de nuit qu'elle portait, la même que cette affreuse nuit où elle était sortie de la Seine sans souvenirs ; à la différence qu'ici, le vêtement était intact. Une couverture lui couvrait également les épaules, une sensation réconfortante dans le froid qui régnait et qu'elle découvrait plus piquant à chaque pas. Le long tapis à ses pieds semblait aspirer le moindre son, rendant parfaitement aphone les planches du parquet. Il était doux sous sa voute plantaire, comme du velours.

     Daisy marcha longtemps, une éternité peut-être, elle ne le sut jamais. Mais, au bout d'un moment, le couloir se termina sur une porte au battant sinistre plongé dans l'ombre. Même les lointains éclairs qui illuminaient la nuit ne parvenaient pas à l'éclairer suffisamment pour en discerner les fioritures. Pourtant Daisy était certaine qu'un dessin de lierre et de rose en décorait le bois, une certitude qui la troubla autant que le souvenir de cette porte la fascina. Qui l'avait peint ? Et pourquoi semblait-elle si sombre à cet instant alors que dans son souvenir, elle paraissait si belle et lumineuse ?

     Une profonde fatigue submergea brusquement la jeune femme rendant la main qu'elle leva pour appuyer sur la poignée ouvragée bien lourde.

     Le battant s'ouvrit avec une langueur atroce, faisant hurler ses vieux gonds si fort que l'orage sembla comme le plus doux de murmures. De l'autre côté, Daisy découvrit un grand salon plongé dans l'ombre de la nuit. Elle s'y avança, observant alentour avec curiosité. Tout y semblait figé, comme en suspend alors que la tempête continuait de faire rage au dehors. Les tableaux étaient tout aussi vides que dans le long couloir et le même sentiment de familiarité l'étreignait. Mais l'ambiance qui pesait sur la pièce lui sembla bien différente, plus oppressante. Ici le silence se fit brusquement mordant, bourdonnant à ses oreilles comme un avertissement. Et l'orage qui continuait de gronder au loin, écho lugubre qui lui parvenait à peine.

     Alors que Daisy avançait plus loin dans la pièce, il lui sembla entendre des sanglots. Puis des halètements et finalement le bruit d'une lame qu'on retire.

     Un éclair jaillit au dehors, illuminant la nuit l'espace d'un instant. Daisy se figea sur le seuil. L'effroi l'envahit lentement, prenant racine au creux de son ventre pour monter progressivement le long de son dos dans sa poitrine jusqu'à ses yeux qui la brûlèrent de larmes. Ses lèvres tremblèrent, sanglots silencieux que sa gorge nouée refusait de laisser échapper.

     Devant elle, deux corps gisaient dans une mare de sang, leurs yeux ouverts sur le néant. Daisy sentit un long frisson lui remonter l'échine alors qu'une silhouette se redressait lentement au-dessus de l'un d'eux – une femme lui semblait-il.

     Elle était pétrifiée, ses membres secoués de tremblements. Il lui parut qu'une éternité passa alors que l'ombre et elle s'observaient en silence, instant suspendu durant lequel Daisy cru que son cœur allait éclater. L'orage gronda de plus belle et, pendant une affreuse fraction de seconde, elle vit l'ombre fondre dans sa direction.

Eugénie (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant