88.

426 11 0
                                    

Ruggero

J'enfile en vitesse mon polo blanc que j'avais laissé traîner sur le fauteuil de la chambre, passe mes mains dans mes cheveux pour les recoiffer, et sors de la pièce. Il doit être aux alentours de neuf heures et demi lorsque j'arrive dans le salon, là où je retrouve mon père, sa copine et Karol assis autour de la table.

- Bonjour je lance simplement.

Karol se retourne et me souri, tandis que je lui embrasse le haut du crâne. J'attrape un croissant à la volée, Ahsley - la nouvelle compagne de mon père - me tend une tasse de café et je m'assois enfin.

- Vous avez bien dormi ? nous demande-t-elle.

Je me contente de hausser les épaules.

- Oui, très bien répond Karol.

Je n'aime pas Ahsley. Elle joue un rôle, elle n'est pas elle même. Elle semble toujours très heureuse, mais son sourire la trahi bien trop souvent, elle donne l'impression d'être toujours serviable et de bonne humeur. Comme si elle portait un masque face à mon père. En parlant de lui, il a refait sa vie un peu trop rapidement à mon goût. Je sais que ça n'allait plus entre ma mère et lui depuis un petit moment déjà, mais, j'ai la sensation qu'il a balayé d'un geste de main les années qu'il a pu vivre avec elle comme si ça ne comptait pas vraiment. Ça me dérange, son couple me dérange, et sa vie actuelle me dérange également. Je n'ai pas l'impression de reconnaître mon père.

- Et toi fiston ? Ça se passe bien à Paris ?

- Oui, ça va.

- Tu as trouvé ce que tu voulais faire après la fac ?

Je m'étouffe presque avec mon café, la main de Karol vient doucement se poser sur ma jambe, tandis que j'essaye de retrouver contenance.
J'hoche alors la tête de haut en bas dans le silence.

- Et alors ? Qu'est-ce que tu comptes faire ?

Je croque dans mon croissant, comme si ce geste allait me donner du courage pour la suite de cette conversation.

- Une carrière musicale.

Un long silence s'abat sur la pièce. Les bruits de couverts ont cessé, et j'aperçois mon père arrêter ses mouvements.

- Pardon ?

- J'aimerais faire une carrière musicale je répète.

Je presse la main de Karol sous la table.
Mon père se met à rire. Ahsley lui sourit, mal à l'aise d'avoir compris que j'étais sérieux.

- Tu es drôle, fiston.

- C'est n'est pas une blague, papa.

Il relève ses yeux vers moi, son sourire s'efface, il dépose ses couverts et joint ses mains devant lui, d'un air sévère.

- Donc tu es en train de me dire que tu souhaites jouer de la guitare toute ta vie ?

Je secoue la tête de haut en bas. C'est la manière grossière qu'à mon père de parler d'une carrière musicale.

- C'est un métier de merde, et tu le sais.

- C'est ta façon de voir les choses.

- Je ne t'ai pas payé des études toute ma vie, pour que tu finisse musicien dans le métro parisien Ruggero.

- Mais ce que tu me demande de faire ne me plais pas.

- C'est seulement ton absurde passion pour la musique qui est trop présente.

Il soupire et décroche son regard du mien, pour le poser sur le contenu de son assiette.

- Tu tiens bien ça de ta mère.

- C'est sur, en même temps je n'ai rien à voir avec toi.

J'aperçois Karol tourner la tête vers moi, tandis que le regard de mon père et le mien se sont aimantés.

- Je n'ai pas envie d'avoir un fils musicien.

- Je n'ai pas envie de renoncer à ce rêve par ta faute.

- Qui t'as mis cette idée dans la tête à la fin ? demande-t-il sur les nerfs. C'est ta mère et ses idées de génie peut-être ?

- Laisse maman en dehors de cette conversation.

- Très bien dit-il en poussant sa chaise.

Il se lève, reste devant la table et me regarde un instant avant d'ajouter.

- Si tu décides de commencer une carrière musicale, ce n'est pas la peine de revenir me voir.

Je savais que mon père ne serait jamais d'accord avec ma décision, qu'il se mettrait au travers et qu'il défendrait corps et âmes sa position sur le sujet. Je n'aurais jamais imaginé qu'il puisse me dire une chose pareille. J'ai l'impression de ne jamais avoir réellement compté pour lui, comme si nos liens père - fils ne suffisaient même pas à lui faire comprendre que ce milieu me rend heureux.

Je ne rétorque rien, parce que sa réaction me clou sur place. Je reste sur ma chaise, les yeux fixés sur mon croissant encore à moitié mangé. J'ai l'impression d'être dans un mauvais rêve, sans avoir le pouvoir de faire quoique se soit.

Ahsley s'est levée à son tour et est - je suppose - allée voir mon père pour tenter de le faire revenir à table. C'est peine perdue, je le sais, mon père est borné et têtu et c'est certainement pas Ahsley qui réussira à le faire changer d'avis.
La main de Karol vient se poser sur mon épaule. Elle s'est tournée vers moi, et je ne l'avais même pas remarqué.

- Ça va ? me demande-t-elle d'une petite voix qui se vaut prévoyante.

J'aimerais lui dire que oui, que je m'en fou et que ça ne changera rien à ma décision sur mon avenir. Or ce n'est pas le cas. Sa réponse me touche, bien plus que ce qu'elle ne devrait peut-être et j'en viens même à me demander si commencer une carrière musicale au dépend d'une meilleure entente avec mon père est réellement ce que je veux. Alors je secoue la tête de gauche à droite sans lâcher un mot, et elle vient doucement m'enlacer.

- Je suis là rugge, tout va finir par s'arranger j'en suis sure.

- Il ne changera pas d'avis je lui dis au creux de son cou.

- Alors on traversera ça ensemble, tu prendras du temps pour toi s'il le faut.

Elle se détache, me laissant dans un espace moins familier que ses bras, puis me prend les mains et me regarde dans les yeux tout en restant un instant silencieuse.

- Tu veux appeler ta mère ? Peut-être que ça te ferait du bien.

- Oui, je le ferais sûrement dans la journée.

Elle hoche la tête.

- En attendant, on ne va pas rester ici aujourd'hui.

Je fronce les sourcils, la questionnant du regard.

- Comment ça ?

- On va visiter New York ! Il faut que tu te change les idées, on est ici que pour quelques jours et les rues d'Amérique nous attendent ! dit-elle en se levant tout sourire.

Son expression me décroche a moi aussi un sourire, je me lève alors à mon tour et j'attends Karol devant la porte d'entrée, près à sortir de cet appartement rempli de mauvaises ondes.

~~

SMS ruggarol 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant