Chapitre I

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— Concentre-toi, Denzal ! Tu dois pouvoir le faire !
— C’est inutile, Alessia, je n’y arriverai pas.

Denzal retira sa main de l’arbre en soupirant, fatigué de ce nouvel échec cuisant. Il ne pensait pas qu’il pouvait se sentir encore plus déçu de ne pas réussir à faire apparaître même la plus fine des aiguilles dans le bois. Pourtant, c’était ce qu’il ressentait. Une déception cuisante. Et une grande haine envers son absence de pouvoir.
Son amie se laissa tomber près de lui, le sortant quelques secondes de ses pensées sombres. Elle appuya son épaule contre le sien, sa manière à elle de le consoler, sans un mot. Il la gratifia d’un maigre sourire reconnaissant avant de regarder à nouveau ses paumes.

— Je ne comprends pas. Pourquoi je n’ai pas de pouvoir ? Je suis un adulte, il devrait être apparus depuis plusieurs saisons maintenant ! Toi ça fait déjà des années que tu patrouilles dans la Forêt !
— Ne sois pas trop dur avec toi-même, Den’... et puis, j'ai beau avoir fait plusieurs fois mes preuves, le village ne me fait pas confiance pour autant. Tu sais très bien qu'ils ont des… difficultés avec ceux qui dénotent.

Le jeune elfe souffla. C’était ce qu’on lui répétait depuis qu’il avait été en âge de développer ses dons mais rien ne s’était jamais manifesté. Il était pourtant plus endurant et plus costaud que la plupart des autres elfes du village. Quand il était petit, tout le monde lui disait qu’il serait sûrement un des plus puissants, surtout s’il avait hérité des pouvoirs de ses parents. Sauf qu’il n’y avait pas de pouvoir et plus de parents pour le guider. Sa mère était morte quand il n’était qu’un bébé et depuis son père avait renoncé à utiliser ses dons. Il ne pouvait que demander de l’aide aux autres et prier l’Arbre Sacré, même si c’était en vain. Il était et resterait très sûrement l’elfe le plus inutile de toute la forêt, et les autres villageois ne se gênaient plus pour lui lancer des regards mauvais lors des repas.

— C’est gentil d’avoir essayé de m’aider, Alessia, chuchota-t-il, désolé d’avoir pris sur ton tour de garde pour rien.
— Arrête de t’excuser en permanence.

Son amie se redressa et tendit la main vers lui, un sourire illuminant son doux visage encadré par des mèches de cheveux lisses s’échappant de sa coiffure. Encore une chose qui le différenciait des autres elfes. Lui et son père étaient les seuls du village à avoir d’épaisses boucles.

— Allez, debout ! Tu devrais rejoindre ton père avant qu’il n’envoie la moitié du village à ta recherche, l’encouragea Alessia en voyant qu’il tardait à se lever.
— C’est bon, je ne suis plus un enfant, il attrapa sa main et se redressa, on se voit au repas ?
— Oui ! À plus tard, Den’ !

Denzal salua son amie et elle reprit son chemin dans la forêt. Les branches s’écartèrent autour d'elle, preuve des puissants dons dont elle avait hérité. Il retint la vague de jalousie qui montait en lui en se souvenant que ses rondeurs lui valaient aussi d'être vue comme une pestiférée. Malgré ses pouvoirs exceptionnels, elle avait dû batailler pour rejoindre les guerriers du village, et même maintenant ils remettaient souvent sa parole en doute, alors qu'elle avait ses preuves à de nombreuses reprises. Il se concentra plutôt sur les bruits de la forêt et les plantes qui l'entouraient. Il ne vit aucune herbes médicinales, ce qui signifiait qu’il allait devoir rentrer les mains vides.  Il soupira longuement et épousseta son pantalon avant de retourner vers le village.
Même si ce n’était que le début de la matinée, il était déjà très animé. Chacun vaquait à ses occupations. Les Anciens s’occupaient de l’éducation des plus jeunes, certains s’occupaient du bétail, d’autres tannaient les peaux des animaux pendant qu’il y en avait qui tissaient la laine ou préparaient les repas du jour. Au centre, derrière les tables dressées pour les repas communs, se trouvait le temple de l’Arbre Sacré. Le bâtiment était formé par un entrelacs de branches fleuries en ce début de printemps et abritait en son sein un arbre qui jamais ne fanait, et dont les fleurs d’un rose pâle diffusait une douce lueur. Dès qu’ils en étaient proches, les elfes devenaient plus puissants, c’est pourquoi Denzal avait passé plusieurs heures à méditer à l’entrée du temple, sans succès. Il s’ébroua, chassant sa déception dans un coin de sa tête, et traversa la place. Il se dépêcha de passer, répondant poliment à ceux qui le saluaient. Il ne voulait pas s’attarder, sinon il allait encore avoir ce sentiment de ne pas appartenir à cet endroit. Si seulement il avait ces satanés pouvoirs, il se sentirait moins différent et il n'y aurait pas tous ces regards pour le lui rappeler.
Il arriva devant une petite maison en chaume, légèrement à l’écart des autres. Son père était assis sur les marches de l’entrée, en train d’écraser des herbes à l’aide de son mortier, ses longs cheveux bouclés vert sombre tombant devant ses yeux noirs. C’était une autre singularité de son père qu’il avait remarqué avec le temps, ses yeux étaient plus sombres que ceux de tous les habitants du village, qui variaient entre le doré et le marron. Mais comme personne n’avait jamais rien dit, il supposait que cela devait être normal. Comme son absence de pouvoir ou leurs cheveux bouclés.

— Comment va Alessia, demanda son père sans lever la tête de son ouvrage. 
— Très bien. Elle a essayé de m’aider avec… tu sais. Mais c’était encore un échec.
— Tu n’en as pas besoin, Denzal, le coupa son père, ce n’est pas grave si tu n’en as pas.
— Tu ne peux pas comprendre, papa, tu as choisi de ne plus utiliser les tiens. Je n’ai jamais demandé à ne pas en avoir. J’ai l’impression d’être aussi inutile qu’un nourrisson.

Son père lâcha son mortier et se tourna vers lui. Denzal se mordit la lèvre. Il savait que le sujet de ses pouvoirs était sensible, ils se fâchaient souvent à ce propos. D’aussi loin qu’il pouvait se souvenir, il n’avait jamais vu son père utiliser une seule fois les siens. Il avait juré de ne plus jamais le faire quand sa mère était morte entre ses bras après lui avoir donné la vie. Pour lui, vivre sans don était devenu normal. Son père soupira et il sentit le besoin de détourner la conversation monter en lui comme une flèche afin d'éviter une énième dispute.

— Tu ne me parles jamais de maman. Tout ce que je sais c'est que c'était une guerrière talentueuse et qu'elle est morte en me donnant la vie.

Il avait pris le premier sujet susceptible de couper son père dans son élan. Une étrange lueur brillait dans ses yeux, un mélange entre fatigue et tristesse. Il invita le jeune homme à s'asseoir à ses côtés, lui ébouriffant les cheveux au passage.

— Ta mère… serait très fière de voir le magnifique jeune homme que tu es devenu. Et elle m’en voudrait de trop te couvrir. Mais je continuerai à le faire, parce que tu es la seule chose qui me reste d’elle. Tu m’es précieux.
— Tu racontes n’importe quoi, papa, grommela-t-il en détournant le regard pour cacher l’émotion qui le gagnait.
— Oh non, crois-moi. Elle me dirait, “Dalir, arrête de t’inquiéter pour lui, il est fort”. Elle aimait croire que chacun avait une destinée tracée et qu’il ne pouvait pas y échapper.
— Et toi ?
— Je croyais la même chose qu’elle. Puis je t’ai vu. Et j’ai décidé que ce monde ne méritait pas que tu te sacrifies pour lui, termina son père.
— Se sacrifier pour le monde ? Tu as de drôles d'idées, papa. Je veux juste être utile au village.
— Je suis certain que c'est le genre de destinée que ta mère aurait voulue pour toi. En attendant, aide-moi à écraser ses herbes ! On doit préparer des onguents, monsieur je veux être utile au village !

Dalir recommença sa tâche et son fils attrapa le second mortier qui traînait près des marches après avoir ramené ses cheveux en une courte queue de cheval maintenue par un lien de cuir. Tout en étant loin de se douter que sa destinée était vraiment bien plus importante que de préparer des onguents pour un village sur une île oubliée du reste du monde.

L'Espoir de Nounaïa : Denzal (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant