Chapitre IX

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Denzal se laissa tomber sur ses genoux alors que ses sanglots brisaient le silence de l’endroit dans lequel ils avaient atterri. Dans son esprit, flottait l’image de son père qui lui souriait. Il voulait la graver dans sa mémoire jusqu’à être certain de ne jamais l’oublier. Pourtant, alors même qu’il souhaitait seulement se rouler en boule sur le sol pour pleurer l’homme qui l’avait élevé, des cris le forcèrent à ouvrir les yeux. 

Il se retourna, passant la manche de sa tunique de toile sur ses joues pour en chasser les larmes, et constata que Seelay et une autre personne étaient en train de se rouler sur le sol, une terre sèche aux couleurs bigarrées qu’il avait du mal à distinguer dans la nuit malgré la lumière des étoiles. L'identité de son adversaire ne faisait aucun doute, tant ses cornes immenses étaient reconnaissables, et il sentit l'eau se ruer de nouveau au coin de ses yeux. Pourquoi le Dragon était-il avec eux alors que son père était resté derrière ? 

Le désespoir l'envahit encore plus. Soit Seelay parvenait à calmer le Lieutenant, soit ils ne pourraient pas lutter, pas dans un endroit qui leur était inconnu. Il lâcha un soupir paniqué, le cœur compressé par la tristesse, la colère et la fatigue. Il eut l’impression de sentir quelque chose monter en lui, une vague sombre, et il faillit succomber. Elle avait l’air si prête à accueillir tous ses tourments, à les réduire au silence…  

Une lumière blanche éclaira la nuit, faisant refluer la vague. Devant eux, quelques personnes étaient apparues, vêtues de capes recouvrant l'intégralité de leurs corps et dont le visage était masqué par des keffiehs. Pas besoin d'être un génie pour comprendre qu'il s'agissait de Mages, étant donné qu'ils étaient apparus de nulle part et qu'une lumière sortait de leurs mains, éclairant les alentours. 

Au même moment, Seelay parvint à immobiliser le Dragon en s’asseyant sur son bassin, un bras posé sur sa trachée, alors que l’autre maintenait ses mains au-dessus de sa tête, et que son adversaire ruait furieusement sous lui. L'Aegirien était haletant. Il était étonnant de voir à quel point il avait réussi rapidement à prendre le dessus. 

— Reste sage, Bian, je t’en prie. 

— Tu as perdu le droit de me donner des ordres, Seelay. 

Bian donna un violent coup de rein, parvenant à se dégager, sans remarquer que pendant leur petit affrontement, l'un des Mages s'était avancé dans leur direction. Denzal le vit faire un geste souple du poignet qui fit apparaître un cercle magique et qu'il lança en direction du Dragon. Sortis de nulle part, des menottes entravèrent les poignets du soldat et un bâillon de fer se posa sur sa bouche. Déséquilibré, Bian s'étala sur Seelay, qui le réceptionna avec surprise dans ses bras. Le Dragon lui lança un regard paniqué et tira sur les menottes. Seuls de petits gémissements étouffés passaient à travers le bâillon. C’était cependant assez pour comprendre qu'il était en train d'angoisser à cause des liens. 

Ce fut avec une délicatesse à mille lieues de leur combat que l'Aegirien passa doucement une main sous ses longs cheveux pour atteindre sa nuque et commencer à la masser pour le calmer. Il fixa le Mage avec un regard noir. Il avait beau comprendre que ce dernier ne faisait que se protéger en empêchant le Dragon d'utiliser ses mains et en lui retirant la possibilité de cracher ses flammes avec le bâillon de fer, il ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir. Il avait la situation en main. Bian l’avait suivi, avait attrapé sa main. Il devait juste mettre les choses au clair avec lui, mais ce Mage… Il grogna, resserra un peu son étreinte sur le Dragon qu’il sentait trembler contre lui en tentant de se défaire des liens. 

Dans la pénombre, il était impossible de savoir si les yeux du Mage trahissait un peu de pitié devant l’état de Bian. Il détourna cependant rapidement la tête, comme s’il ne voulait pas affronter le spectacle, et se concentra sur le reste du groupe. 

— Lequel d'entre vous vous a téléporté ici, demanda-t-il en se plantant devant eux.

Denzal étouffa le sanglot qui le traversa quand il repensa à son père, alors que les trois Aegiriens et Alessia se tournaient vers lui. En le voyant dans cet état, fébrile et malheureux, sa meilleure amie s’approcha de lui et le prit dans ses bras, le serrant contre sa poitrine généreuse, comme elle l’avait toujours fait dès que son cadet, pourtant plus grand et large qu’elle, craquait. Elle passa sa main dans ses cheveux, qui s’étaient détachés dans leur fuite, et joua avec ses mèches dans un geste plein de tendresse. Elle affronta du regard l'homme qui se tenait devant eux et lui répondit froidement : 

— Le Mage qui a lancé le sort n'est pas avec nous. Il est resté… Il est resté à l'endroit que nous avons fui. 

— Et quel est le nom de ce Mage assez inconscient pour avoir laissé un Dragon venir sur nos terres, questionna le Mage. 

Sa voix était tranchante, mais Denzal réussissait à y percevoir une chaleur qui lui était familière. Il utilisait les mots sur un ton neutre, un ton qu'il avait entendu pendant des années. Et il savait que ce n'était pas un ton aussi froid qu'il voulait le laisser paraître, car il y avait perçu une légère pointe d'inquiétude. Son père faisait exactement la même chose. Il se redressa, sans pour autant quitter l'étreinte de Alessia, et s'éclaircit la voix :

— Le Mage qui nous a téléporté ici s'appelle Dalir. 

L'inconnu sembla surpris et la révélation de Denzal fut suivie par un long silence. L'absence de bruit était si totale que tout le monde pouvait entendre les murmures de Seelay, alors qu'il tentait toujours de calmer Bian : 

— Je suis là, ça va aller… je te le promets… 

La manière dont Seelay le touchait, murmurait à son oreille et la manière dont Bian le laissait faire permettait de deviner que leur relation ne semblait pas datée d'hier, même si elle semblait plus complexe que ce qu’ils voulaient bien montrer. Denzal souffla légèrement de soulagement en voyant que le Dragon était hors d’état de nuire et que le pirate avait l'air de pouvoir le maîtriser. 

Il reporta son attention sur le Mage. Ce dernier semblait aussi être concentré sur lui, encore plus depuis qu'il avait parlé de son père. Il baissa le keffieh qui recouvrait sa mâchoire et ses cheveux, révélant un visage aux traits masculins. Sa peau avait une belle couleur dorée, rehaussée par ses cheveux aussi sombres qu'une nuit sans étoile et ses yeux de la même couleur. La ressemblance avec Dalir était frappante, tellement que le sang-mêlé sentit à nouveau sa gorge se serrer. 

— Comment peux-tu me prouver que c'est bien Dalir qui vous a envoyé ici ?

Denzal posa le regard sur l'étrange tatouage à son poignet. Il étudia les symboles qui surmontaient le cercle, cherchant où il en avait vu de semblables. C'est alors qu'il se souvint de la dague que son père lui avait donnée. Il l'a sortie et les compara. Son souffle trembla légèrement quand il vit que c'était exactement les mêmes. Quoique veulent dire ces symboles, il avait une importance pour son père. Il leva donc son poignet et désigna le tatouage au Mage qui écarquilla les yeux en observant le dessin sur sa peau. 

— C'est lui qui m'a fait ça. Et c'était aussi mon père. 

— Comment se fait-il… que tu es l'apparence d'un Démon et que tu sois le fils d'un Mage ?

— Parce que mon père est un Mage. Et ma mère une Démone.

Le souffle du Mage se coupa. Il déglutit difficilement, avant d'essayer de reprendre son air imperturbable. Pourtant, son regard resta troublé quand il se posa de nouveau sur Denzal et qu'il annonça : 

— Enchanté, sang-mêlé. Je suis Adel. Et il semblerait que je sois de ta famille.

L'Espoir de Nounaïa : Denzal (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant