L’immense énergie magique qui avait été déployée ces vingt-trois dernières années regagna subitement le corps de son propriétaire alors que Dalir s'effondrait à cause du contrecoup. Denzal grogna de douleur en s’appuyant sur la table à ses côtés, aveuglé par l'immense flash de lumière produit par le phénomène. Avant même qu’il ne puisse demander ce qui s’était passé, la voix de Alessia s’éleva. Elle était faible et tremblante, comme il l’avait rarement entendue, et elle bafouilla quelques mots sans logiques avant de souffler faiblement :
— Dans la carrière… vous avez modifié mes souvenirs ? Pourquoi… ? Je… qu'est-ce que vous aviez à cacher ?
Il entendit son père prendre une inspiration paniquée et fronça les sourcils. Quoiqu'il se soit passé, il ne comprendrait rien en gardant les paupières aussi résolument fermées. Il ouvrit prudemment un œil, craignant que l’étrange lumière soit encore là, mais ne trouva que la faible lueur des bougies et de l’âtre qui dispensait un halo orangé dans la chaumière. Rassuré, il ouvrit franchement les yeux.
Et se figea de surprise.
L’homme devant lui était son père sans vraiment être lui. Sa peau s’était éclaircie jusqu’à prendre une couleur mate, et des dessins noirs étaient visibles dans son cou dégagé. Ses longs cheveux n’étaient plus verts, mais aussi noir que le charbon, et il avait perdu ses oreilles pointues. La seule chose qui n’avait pas changé étaient ses yeux sombres, qui se posèrent sur lui avec une émotion particulière.
Denzal recula légèrement, effrayé par sa découverte, et tourna précipitamment la tête vers sa meilleure amie. Il était paniqué à l’idée de la découvrir sous une autre apparence, elle aussi. Roulée en boule dans un coin de la chaumière, Alessia avait toujours le même physique, mais elle semblait en état de choc. Elle fixait son père, attendant une réponse à sa question. Seelay, Merrigan et Zale échangeaient des regards inquiets, et le Capitaine de l'équipage avait posé sa main sur le fourreau du sabre que Merrigan avait posé à ses côtés, un ouvrage d'une qualité remarquable sur lequel étaient gravées des vagues. Seul lui savait que dans les détails des remous enragés se trouvait un délicat camélia qui semblait ne pas souffrir de la tempête autour de lui.
Acculé, Dalir se releva avec quelques difficultés. La magie avait réintégré son corps un peu trop violemment et il chancelait du contrecoup. Il aurait pu essayer de relancer un sort, mais cela n’aurait servi à rien. En plus des esprits des étrangers, il aurait dû manipuler celui de son fils, et il n’avait pas la puissance nécessaire. Il désigna Denzal de la main, ses yeux reflétant ce mélange de tristesse et de fierté que Denzal ne parvenait pas à cacher, et répondit :— Je devais cacher Denzal. C'était tout ce qui m'importait. Mais je t'assure qu'à part vos souvenirs de cette nuit-là, je n'ai rien modifié.
— Me cacher ? Papa de quoi tu parles ? Et pourquoi tu… tu es différent ?Dalir baissa la tête. Il n'avait plus le choix, il allait devoir tout raconter à son fils et sa meilleure amie. Et trois étrangers auxquels il ne parvenait pas à savoir s'il pouvait leur faire confiance. Il releva la manche de sa tunique et toucha un des nombreux tatouages qui était apparu sur sa peau. Un miroir apparut dans sa main et il le tendit à Denzal. Le jeune homme le prit sans comprendre jusqu'à ce que ses yeux tombent sur son reflet. Sa peau d’ébène avait laissé place à une teinte parme, et de petites cornes étaient apparues sur le haut de son front. Ses cheveux bouclés, maintenus par un lien de cuir, étaient devenus noirs et méchés de blanc. Mais le plus hypnotisant était ses yeux roses qui faisaient avec effroi l'inconnu dans le miroir qui avait pourtant ses traits.
— Papa, peux-tu me dire ce qui se passe ? Pourquoi… Pourquoi je… ? Papa…
Dalir inspira profondément. Il allait commencer ses explications mais un léger toussotement le coupa. Merrigan s'avança, dévisageant Denzal avec curiosité, alors qu'un sourire se dessinait peu à peu sur ses lèvres. Cela suffit au Mage pour savoir qu'il avait compris qui était son fils. Quand il ouvrit la bouche, il craint qu'il ne supplie Denzal de venir les aider. Pourtant, ce fut tout autre chose qu'il formula d'une voix calme et ferme malgré la situation :
— Il ne faut pas que les Dragons l’attrapent. Sinon, c’est la fin de Nounaïa. Et je doute que les villageois vous laissent refaire votre petit tour de passe-passe.
— Je confirme, chuchota Alessia, les villageois n'apprécient pas spécialement ce qui n'est pas un elfe parfait. Pour ne pas dire qu'ils vous toléraient en tant qu'elfes mais maintenant vous êtes en danger.Dalir soupira. Merrigan avait raison, les Dragons ne devaient pas mettre la main sur son fils. Et la remarque de Alessia était tout à fait fondée. Il allait devoir mettre son fils à l'abri. Il allait devoir faire vite, et il ignorait si les pouvoirs qui lui restaient lui permettraient de téléporter tout ce petit monde mais il ne laissera personne derrière lui. Il ne renoncerait pas à nouveau à sa morale.
— J'ai une solution de secours. Assieds-toi, Den'. Je vais t’expliquer en soignant cet Aegirien. Alessia pendant ce temps peux-tu commencer à préparer des sacs avec des vêtements et des onguents ?
— Je vais t'aider, annonça Zale en s'approchant de l'elfe qui se relevait pour faire ce qui lui était demandé.Denzal s’exécuta, encore trop choqué pour protester. Ce dernier sortait d’ailleurs différents outils de soins de ses étagères, expliquant à Seelay qu’il ne pourrait utiliser sa magie pour le soigner qu’une fois ses écailles retirées, autrement il risquait de souffrir atrocement. L'Aégirien s'allongea sur la table, fermant les yeux, et Dalir appliqua un baume anesthésiant sur sa blessure en commençant ses explications :
— Il y a de cela deux siècles, Mages et Dragons se sont unis pour faire tomber le peuple des Démons. L’Empereur Dragon a ensuite voulu envahir tout Nounaïa. Pour commencer, il a vaincu les Aegiriens et leur a tout pris. Mais ils n’ont jamais pu envahir le Désert et le Royaume dans les Montagnes. L’Empereur est mort et nous avons tous cru que la paix reviendrait. Mais des années plus tard, un autre Empereur est arrivé. Et lui aussi, voulait envahir Nounaïa. Alors les Dieux nous ont envoyé une prophétie. Un sang-mêlé verrait le jour, et il aurait le choix entre causer notre destruction ou sauver Nounaïa.
— Je… je ne vois pas en quoi tout cela me concerne, papa…
— Il y a une trentaine d’années, j’ai choisi de quitter ma tribu du Désert pour découvrir Nounaïa. C’est ainsi que j’ai rencontrée ta mère. Ashenyo était une démone. Elle avait réussi à sortir de la Faille, mais a toujours refusé de m’expliquer comment. Nous avons voyagé ensemble, nous sommes tombés amoureux… Et un jour, elle m’a annoncé qu’elle attendait un enfant. Nous nous cachions à cette époque dans les montagnes qui séparaient l’Empire du Royaume des Vampires. Et nous savions tous les deux ce qu’un enfant issu de notre union signifiait… Tu es le sang-mêlé de la légende. Et maintenant que les Dragons arrivent sur cette île, tu es en danger.
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L'Espoir de Nounaïa : Denzal (T1)
FantasyDepuis des siècles, le monde de Nounaïa attend désespérément l'être qui pourrait le sauver. Denzal vit avec insouciance loin des tracas du continent. Il ignore tout de cette légende. Jusqu'au jour où son destin va basculer, et l'emmener vers de nou...