Chapitre X

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Denzal fut à peine surpris par la révélation du Mage. Les ressemblances avec son père étaient trop frappantes pour qu’il n’ait pas un lien avec l’homme qui se tenait en face de lui. De toute façon, même s’il aurait voulu être surpris, il se sentit soudain envahi par une intense fatigue. L’adrénaline de la soirée commençait à descendre, le laissant lessivé par tous ces sentiments qui s’affrontaient en lui. Dans un soupir las, il demanda :

— On est en sécurité ici ?
— Avec le Dragon hors combat, vous êtes en sécurité avec nous. Nous allons vous ramener au village, vous n'avez pas atterri très loin, lui répondit Adel.

Denzal lança un regard vers sa meilleure amie, cherchant à savoir ce qu’elle en pensait. Cette dernière hocha la tête, lui signifiant qu’elle était d’accord pour les suivre. Il tourna la tête vers Zale. L’Aegirienne respirait le calme. Elle semblait analyser la situation, sans dire un mot depuis le début. À ses côtés, Merrigan était une vraie boule d’angoisse. Il jouait nerveusement avec les bijoux à ses oreilles d’une main, alors que de l’autre il s’était accroché au bras de sa camarade pour obtenir un peu de soutien. Seelay, lui, n’avait pas bougé. Bian était toujours assis en califourchon sur lui, mais il semblait s’être apaisé avec les caresses du pirate. Il commençait d’ailleurs à tenter de se soustraire à ce contact, ses yeux lançant des éclairs à l’Aegirien. Ils étaient tous éprouvés et ils ne pouvaient de toute façon pas se débrouiller dans un territoire qui leur était à tous inconnus. Ils avaient besoin de l’aide de Adel.

— C’est d’accord, on te suit. Nous avons tous besoin de nous reposer.
— Tous ? Y compris…
— Ce Dragon est avec nous, le coupa Seelay, je te prierai d’ailleurs de lui retirer ses liens. Ils ne servent à rien sur lui…
— Ça m’étonnerait fort, et je souhaite juste protéger ma tribu.

Bian grogna de mécontentement. Il n’était pas du genre arrogant, mais il s’était senti piqué à vif par la remarque du Mage et par le fait que ce soit Seelay qui prenne sa défense, alors qu’il ne lui avait rien demandé et qu’il pouvait parfaitement se débrouiller sans lui. Alors pour leur prouver à tous les deux qu’ils avaient tort de le sous-estimer, il fit augmenter la chaleur de son corps. Il n’avait même pas besoin de se concentrer, contrairement au peu de Dragon qui étaient capable de ce prodige, et ses entraves fondirent en à peine quelques secondes. Denzal vit une multitude de paillettes dorées virevolter dans l'air avant de rejoindre le corps d'Adel, une infime partie s'évapora cependant sans regagner son propriétaire. Adel ouvrit la bouche, surpris par l'exploit de Bian, alors que l’Aegirien ricanait légèrement en le regardant se redresser.

— Je n’attaquerai personne, tu as ma parole. Mais ne me remets pas ces trucs.
— Je peux croire en ta parole ?
— J’en ai toujours plus que ce pirate, trancha Bian en commençant à avancer, tu nous guides ou on doit trouver ce village seuls ?

Un sourire en coin apparut sur le visage du Mage. Il hocha la tête, convaincu par la bonne foi du Dragon, et les emmena vers le village qu’occupait actuellement sa tribu.

~~~

Denzal fixait le plafond de la maison de pierre où Adel les avait invités à entrer pour se reposer. Il leur avait expliqué qu'ils rencontreraient la cheffe de la tribu le lendemain matin et que pour le moment, ils pouvaient se reposer dans la maisonnette. Mais le sang-mêlé n'était pas totalement dupe, il avait bien vu les deux Mages qui étaient restés devant la porte. Ils étaient surveillés. Cette méfiance était légitime après tout, ils ne les connaissaient pas.
Alors malgré la fatigue, il restait éveillé. Pour pouvoir réagir si jamais il devait se passer quelque chose. Il se redressa, s'asseyant sur les couches de tapis épais qui étaient disposées sur le sol, et observa la pièce dans la pénombre. Endormis pêle-mêle à ses côtés, Alessia, Zale et Merrigan semblaient paisibles. Dans un coin se trouvait un petit couloir qui menait sûrement aux autres pièces de la maison et en face de lui la porte qui donnait sur l'entrée qu'ils avaient empruntée un peu plus tôt.

— Tu ne dors pas ?

Il se tourna avec un sursaut vers Seelay. Assis de l'autre côté de la pièce, l'Aegirien veillait sur Bian qui dormait dans un coin. Ce dernier avait apparemment réussi à trouver le sommeil malgré le fait qu’il était sur le qui-vive.
Denzal tourna négativement la tête pour répondre à sa question, avant d'expliquer :

— Adel n'a pas l'air d'avoir de mauvaises intentions, mais je préfère être prudent. Je ne veux pas qu'il arrive quelque chose à Alessia.
— Je suis désolé, chuchota Seelay, si on ne s'était pas arrêté sur votre île… tu serais encore avec ton père.

Les larmes remplirent les yeux roses du sang-mêlé. Il renifla, pressa les manches de sa tunique sur ces derniers pour les empêcher de couler, avant de reporter son attention sur le pirate. Veillant à ne pas parler trop fort, il répondit :

— Ce matin, mon père m'a dit qu'il croyait à la destinée avant ma naissance… et que ma mère y croyait aussi. Alors votre venue est peut-être due à ce destin. Pour me faire découvrir ce monde.
— Peut-être…
— Et hum… Bian et toi je… vous n'avez pas l'air… d’être des ennemis jurés…

Seelay ricana légèrement devant son air gêné avant de tendre le bras pour caresser la joue du Dragon. Ses yeux se voilèrent de tristesse pendant quelques instants, avant qu'il avoue dans un murmure :

— Je n'ai pas menti. Mon joli Lieutenant est un Dragon puissant, mais en disgrâce auprès de l’Empereur. J'ai juste… occulté les raisons qui ont conduit à cette situation…
— Tu… veux en discuter ?
— Tu es curieux hein, ricana Seelay.

Denzal sentit ses joues le chauffer. Ce n'était pas la première fois qu'on lui faisait cette remarque, mais la voix grave de Seelay l'avait faite chanter comme un compliment à ses oreilles. Pourtant, l'Aegirien n'avait d'yeux que pour l'endormi près de lui dont il avait attrapé une mèche de cheveux pour l'enrouler autour de son doigt avec une tendresse infini.

— C'est l'histoire d'un des fils de l'Empereur et du fils d'un simple soldat, chuchota Seelay avec un sourire, le fils de l'Empereur n'était pas assez bien pour son père. Pas assez puissant. Pas assez manipulable parce que sa télépathie était trop forte. Et surtout, très très loin dans l'ordre de succession. Alors son père l'a relégué dans une petite caserne de soldats. C'est là que le fils de l'Empereur rencontra le fils du soldat Aegirien. Ils grandirent ensemble, s'entraînèrent ensemble et devinrent soldats ensemble. Comme il était le fils de l'Empereur et qu'il était très doué, le Dragon devint Lieutenant. Mais il n'oublia pas son ami, et le prit comme bras droit…

Seelay poussa un long soupir. Si un sourire tranquille avait pris place sur son visage alors qu'il se remémorait ses souvenirs d'enfance, son expression changea subitement en une profonde tristesse.

— Sauf qu'on a pas été que des amis. On est tombé amoureux. Mais dans l'Empire, les relations entre personnes de même sexe sont assez mal perçues. Et je ne te parle pas des relations entre Aegirien et Dragon, qui sont strictement interdites et très sévèrement punies. Un jour, un soldat nous a vu échanger un baiser… Bian l'a immédiatement senti, parce que le soldat ne savait pas assez bien contrôler ses pensées. Sauf que l’Empereur… Il sait tout. Il n’y a que Bian qui arrive à lui cacher ses pensées, parce qu’il est plus puissant que lui en réalité. Et… On s’est fait arrêter. On était dans des cellules différentes, alors je ne sais pas… ce qu’il a vécu… mais moi… J’étais censé me faire exécuter…
— Que… quoi ? Mais… vous n’avez rien fait de mal ?
— En effet… Quoiqu’il en soit, Merrigan et Zale m’ont sauvé. On a pas pu aller chercher Bian, c’était trop dangereux. Et peu après, il a été libéré, avec pour ordre de nous capturer… Je.. Son père est sûrement derrière ce plan pourri… Mais maintenant qu’on l’a éloigné des autres, je devrais pouvoir…

La phrase de Seelay fut coupée par le bruit de la porte qui s'ouvrit sur Adel. La légère lueur de l'extérieur laissait deviner que le soleil était en train de se lever, laissant des reflets orangés se perdre sur le sol.

— La cheffe est prête à vous recevoir.

L'Espoir de Nounaïa : Denzal (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant