Chapitre III

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La puissance de la vague propulsa Denzal et Alessia quelques mètres plus loin. Elle semblait curieusement avoir épargné le navire et les trois étrangers qui se trouvaient auprès de lui. Le jeune elfe recracha l’eau qu’il avait avalée en grimaçant à son goût salé et s’aida de sa lance pour se relever. Il ne savait pas ce qui venait de se passer, mais ce n’était pas normal. Il n’avait jamais vu de vague de cette hauteur et de cette force. Il entendit Alessia tousser à ses côtés et remarqua du coin de l'œil qu’elle se redressait en prenant elle aussi appui sur son arme. 

Rassuré par son état, il reporta toute son attention sur les inconnus. L’un d’entre eux se tenait assis, la main tendue dans leur direction. La lumière des étoiles et du feu mourant donnait à sa peau un reflet bleuté assez étrange. Ses oreilles, que Denzal parvenait à distinguer, avaient une forme inhabituelle bien loin des longues oreilles pointues des elfes et ressemblaient à des nageoires de poissons. En se concentrant un peu plus, il constata qu’il semblait avoir le souffle court et que son autre main était pressée sur son ventre. Il avait l’air blessé. Ses camarades émergeaient de leur sommeil, tentant de comprendre ce qui venait de se passer. 

Le moment était comme suspendu. Il eut l’impression de l’observer pendant de très longues minutes, alors que cela ne dura que quelques secondes. Une légère brise se leva, la queue de cheval de l’étranger voleta. Et, tout aussi soudainement que la vague était apparue, il s’effondra. 

Le charme de l’instant fut brisé par le cri que poussa une des personnes à ses côtés en se précipitant à son chevet. Denzal papillona des yeux et se tourna vers Alessia, la main sur sa sacoche pleine d’onguents. 

— Il a l’air blessé, chuchota-t-il à son amie alors que les deux compères paniquaient autour du corps du troisième, je peux l’aider en attendant que tu ailles chercher mon père. 

— Parce que tu crois que je vais te laisser seul avec des inconnus, s’agaça Alessia en fronçant ses jolis yeux noisette, c’est hors de question. 

— Je sais qu'ils nous ont attaqués mais…

Alessia grimaça. Elle savait ce que son meilleur ami pensait. Personne au village ne viendrait aider des étrangers, bien au contraire. Elle n'arrivait pas trop à dire pourquoi mais elle le savait. Comme si elle avait déjà vécu une situation similaire auparavant. Elle s'ébroua, faisant voler quelques gouttes d'eau dans tous les sens. La vague l'avait sûrement un peu trop sonnée.

— Tu es vraiment sûr de vouloir y aller ?

— Alessia, si cette vague venait vraiment de ces types, on peut supposer qu'ils auraient pu nous tuer. Mais ils ne l'ont pas fait. Ils ont peut-être eu peur… quoiqu'il en soit, je ne peux pas laisser un blessé de côté. Et puis… tu n'es pas un peu curieuse ?

Sa meilleure amie ne put retenir un sourire et lui céda, tout en lui rappelant qu'il était hors de question qu'elle le laisse seul. Denzal hocha la tête et vérifia sa sacoche remplie de soin qu'il avait préparé avec son père avant d'abandonner sa lance près des rochers. Il se dirigea vers les étrangers en levant les mains, suivit par Alessia. Quand il approcha, un des inconnus se tourna vers lui en levant une paume tremblante dans sa direction, comme s'il était prêt à les attaquer. Le jeune elfe le devança en levant plus haut les mains et s'écria :

— Je viens vous aider ! J'ai de quoi faire des soins. Et votre compagnon a l’air blessé, précisa-t-il en désignant du menton celui qui s’était écroulé. 

— Merrigan… ne les attaque pas, souffla l'étranger qui était à terre, on… a besoin d'aide... 

Le dit Merrigan baissa la main et s'écarta légèrement. Il continua à les fixer avec méfiance et sa main semblait prête à se lever au moindre écart. Cependant, Denzal ne s’en formalisa pas. Il était normal qu’il ne lui fasse pas confiance. Lui-même sentait le regard de Alessia peser dans son dos et il était certain qu’elle avait déjà plusieurs plans en tête si cela se passait mal, en plus d'analyser les spécificités des inconnus. Il s'agenouilla aux côtés du blessé et sortit ses onguents de sa sacoche en demandant à ce qu’on approche une flamme afin de lui permettre de mieux voir. 

— Comment tu t'appelles, demanda-t-il à son patient en soulevant son haut. 

— Seelay, lui répondit-il en étouffant un grognement de douleur dans son poing.

Le jeune elfe grimaça légèrement en étudiant la blessure. C'était une brûlure, certes superficielle, mais elle était étendue de ses côtes droites à sa hanche gauche. Les reflets qu’ils avaient remarqué plus tôt étaient en fait des écailles bleu lagon qui recouvrait en partie son corps. En temps normal, il se serait extasié sur cette particularité mais là, Seelay était blessé et les zones écailleuses qui avaient brûlé l'inquiétaient, car la blessure avait un aspect qu’il ne connaissait pas, comme si sa peau avait fondu.  

— Il faut qu'on l'amène à mon père, annonça-t-il plus pour Alessia que pour les autres, certaines zones m'inquiètent. Je mets de l'onguent aux endroits sains et on pourra le transporter ensuite. 

— Tu es certain que ça va aller pour convaincre ton père ? 

— À ton avis, qui m'a appris à ne jamais laisser un blessé derrière ?

Merrigan écoutait leur échange et se tourna vers Seelay, les flammes faisant danser des reflets indigo dans son regard soucieux. Ce dernier semblait avoir suivi lui aussi la discussion et, bien loin de l'inquiétude de son compagnon, il demanda : 

— C'est loin ? 

— Pas tant que ça, mais il faudra faire attention aux rondes, lui répondit Alessia, si les autres villageois vous trouve… 

— Hé bah ça a l'air super accueillant chez vous, rigola-t-il avant de grimacer à cause d'une vive douleur. 

— Capitaine, garde ton humour douteux pour plus tard, intervint la voix douce de la dernière personne du trio.

Denzal retint un sourire. L'humour de Seelay était douteux, c'était certain mais cela avait suffi à faire sourire Merrigan. Cela semblait d'ailleurs être l'effet recherché par le blessé, dont le visage s'était éclairé en voyant la bonne humeur sur le visage de celui qui semblait être le plus jeune. Il se redressa, et s'adressa directement à eux, son immense sourire révélant des dents légèrement pointues :

— Je veux bien que vous m'emmeniez auprès de votre guérisseur. Et ne vous en faites pas pour mon équipage, on ne vous attaquera plus.

— Fantastique, lui repondit Alessia, Denzal ferme la marche, je vais aller devant. Je vous laisse vous organiser comme vous voulez pour porter votre blessé. 

Denzal ne put s'empêcher de sourire en voyant que le regard de son aînée ne quittait pas la jeune femme qui accompagnait Merrigan et Seelay, et dont ils ignoraient encore le prénom. Il avait comme une petite idée de qui elle souhaitait avoir derrière elle pour retourner au village…

~~~

— Vous les avez retrouvés, Lieutenant ? 

La queue du Dragon fouetta l'air alors qu'il reposait sa longue-vue dans la main de son second sans daigner lui répondre. Ses yeux bordeaux ne quittaient pas l'île en face de lui alors qu'il tentait de se reprendre. Il avait mal dosé son attaque, et même s'il s'était caché dans la brume pour fuir, ses hommes avaient fini par apercevoir l'île sur laquelle le deux mâts abîmé avait accosté. Il se tourna vers son second, qui fixait ses imposantes cornes et les écailles rouge sombre qui se dessinaient sur le haut de son front avant de disparaître dans ses longs cheveux de la même couleur avec un mélange de respect et de crainte qui le dit frémir. Il détestait tellement ce genre de regard. Mais il n'avait pas le choix, tant qu'il était sur ce navire, entouré des hommes de l'Empereur, il devait donner le change. En espérant pouvoir se débarrasser d'eux en accostant pour pouvoir aller à la recherche de Seelay seul. 

Heureusement pour lui, aucun des membres de cet équipage n'était assez puissant pour capter les pensées qu'il leur bloquait. Seul l'Empereur pouvait faire ça. Il envoya donc une pensée affirmative pleine d'arrogance à son second avant de donner ses ordres à voix haute pour les Aegiriens constituant l'équipage :

— Mettez le cap sur cette île. On va capturer ce pirate. 

— Bien, Lieutenant. 

Le Dragon passa sa fine langue fourchue sur ses lèvres, les humectant pour masquer son stress. Beaucoup de sentiments se mélangeaient en lui. La tristesse, la peur, l'inquiétude, l'amour, mais une autre arrivait, dominant les autres alors qu'il savait qu'il allait bientôt retrouver Seelay : la colère et l'incompréhension face à son abandon, qui lui avait valu de parcourir tout l'océan pour le retrouver.

L'Espoir de Nounaïa : Denzal (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant