Chapitre IV

176 23 5
                                    

Alessia se frayait un chemin dans la dense forêt de l’île, ouvrant la marche à son meilleur ami et les trois étrangers qu’ils avaient rencontrés sur la plage. Elle était nerveuse de se retrouver en tête de cortège, parce qu’elle ne pouvait pas surveiller les inconnus. Elle devait rester sur ses gardes. C’était elle la guerrière ici, et c’était elle qui avait accepté de les faire entrer dans le village, alors elle devait être sûre que personne ne serait blessé.
Elle s’arrêta quelques secondes en attendant que l’étrange cortège la rejoigne en haut de la petite côte qu’elle venait de monter, usant de ses pouvoirs pour écarter les branches basses et les racines qui dépassaient. Le blessé était épaulé par ses deux comparses et Denzal marchait à leurs côtés en surveillant son état. Bien que sa blessure n’ait pas l’air si grave, il semblait épuisé et la douleur le faisait grogner quand Merrigan ou l'autre inconnue, dont ils avaient appris qu'elle s'appelait Zale, trébuchaient sur une pierre que l’elfe n’avait pas vue en passant ou avait oubliée de pousser du pied. Ils avaient l’air encore plus maladroits que son meilleur ami, et son cas était déjà une exception chez les elfes.
Elle détailla rapidement Merrigan. Le jeune inconnu soufflait sous l’effort, mais ne se plaignait pas. Elle aurait pourtant cru qu’il demanderait une pause assez rapidement, avec son air chétif. Mais il tenait bon, un air déterminé peint sur ses traits.

— C’est encore loin, haleta Zale en évitant de peu une motte de terre et en s’arrêtant à son niveau.
— Non, plus beaucoup, mais il vaut mieux qu’on contourne le village et qu’on évite les rondes, souffla la jeune elfe en posant son regard sur elle.
— Je peux te relayer, intervient Denzal, son état à l’air stable alors je…

Zale tourna négativement la tête et raffermit sa prise sur Seelay qui gronde de douleur. Alessia se surprit à dévisager son visage fin, encadré de courts cheveux aux reflets bleu nuit, et à étudier son corps souple. Elle était belle. Elle pouvait distinguer les muscles de ses longues jambes avec le pantalon serré qu’elle portait, et le décolleté de sa chemise laissait entrevoir les légers ronflements de sa poitrine quand elle se penchait un peu trop. Les yeux de Zale se posèrent sur elle, et elle se sentit aussitôt absorbée par ses pupilles bleues si claires qu’on aurait pu croire qu’elles étaient transparentes. Elle sentit son estomac se retourner, son cœur accélérer et ses mains devenir moites. Elle aurait pu rester ainsi des heures, à juste la regarder et à découvrir toutes les sensations que ce simple acte éveillait en elle, mais son meilleur ami la rappela à l’ordre en lui demandant de reprendre la route. Elle rougit et se détourna pour reprendre contenance, espérant que sa peau sombre et la nuit avaient suffi à cacher son trouble, avant de reprendre son chemin comme si de rien était.
Au bout de quelques minutes, ils sortirent enfin de la forêt pile à l’arrière de la petite chaumière. Denzal souffla de soulagement en reconnaissant la bâtisse. Sans Alessia, il n’aurait jamais réussi à revenir ici en évitant les patrouilles de guerriers. Mais le plus dur restait à venir. Il fallait en parler à son père. Il vérifia une dernière fois que l’état de Seelay était stable, après avoir autorisé Zale et Merrigan à le poser au sol, puis il fit signe à sa meilleure amie d’attendre ici. Il valait mieux qu’il explique à son père la situation avant de débarquer comme ça. Il s’éloigna donc vers sa demeure, le stress montant peu à peu en lui.
C’était la première fois que des étrangers débarquaient sur l’île depuis qu’il était né, et il ne lui avait pas semblé entendre les Anciens raconter des histoires à ce propos. C’était donc un sujet délicat, qu’il devait présenter avec prudence à Dalir pour ne pas le brusquer. Il était plongé dans ses pensées, en train de réfléchir aux bons mots, quand une voix s’éleva dans la nuit :

— Où étais-tu ?

Le jeune elfe se figea. Il venait d’arriver dans le champ de vision de son père. Ce dernier se tenait debout sur le perron, les bras croisés sur son torse et l’observait avec un sourcil relevé. Sous les étoiles, ses traits avaient un air légèrement soucieux que ses longues boucles vertes comme les pins masquaient légèrement en tombant sur son visage. Il savait que c'était très sûrement parce qu’il s’était inquiété de ne pas le voir rentrer après le repas. Il lui arrivait de partir à l’aventure avec son amie, mais jamais aussi longtemps. Il avait dû s’imaginer les pires scénarios, parce qu’il avait toujours été un père protecteur, même alors qu’il avait plus de vingt-trois printemps. Le jeune elfe toussota, tenta de prendre une posture décontractée, et termina son chemin jusqu’à Dalir.

— J’étais avec Alessia.
— Besoin de t'éloigner ?

Denzal hocha légèrement la tête en sentant les yeux sombres de son père le scruter. Le peu d’assurance qu’il avait s’envola. Un soupir triste passa les lèvres de Dalir qui avança pour lui ébouriffer les cheveux.

— Je suis désolé, chuchota-t-il, j'aimerais vraiment t'aider à te sentir mieux…

Il vit une lueur triste briller dans les yeux de son père et il l'enlaça. L'étreinte leur apporta du réconfort à tous les deux, et rassura aussi Denzal. Son père l'aiderait, parce qu'il n'était pas le genre de personne à laisser quelqu'un tomber sous prétexte qu'il était différent. Il inspira profondément et déballa d’une traite, sans même faire de pause pour respirer :

— On a trouvé des gens sur la plage il y en a un qui est blessé est-ce que tu peux les aider s’il te plaît ?
— Moins vite, Denzal, je n’ai pas tout compris. Vous avez trouvez qui et qui est blessé ? Des villageois ?

Denzal tourna négativement la tête sans remarquer que Dalir s’était crispé en comprenant que si son fils ne parlait pas de villageois, il parlait nécessairement d’étrangers. Le jeune elfe essaya de faire le calme dans son esprit pour ne pas se laisser envahir par le stress. Il reprit ses explications, un peu plus posément.

— Il y avait des étrangers sur la plage. L’un d’eux est blessé. C’est une brûlure assez superficielle, mais certaines zones m'inquiètent. C’est comme s’il avait des écailles et qu’elles avaient fondues dans la blessure.
— C’est…
— S’il-te-plaît, papa, l’interrompit-il avant qu’il n’ait pu formuler sa question, il a besoin d’aide. Tu peux le soigner ?

Dalir essaya tant bien que mal de masquer le trouble qu’il l’envahit. Il ne pouvait pas laisser un blessé livré à lui-même. Il avait brisé tellement de ses principes en venant cacher son fils ici, mais il y en avait un auquel il ne renoncerait jamais : toujours soigner ceux qui en avaient besoin. Tant qu'il maintenait ses sorts, personne ne saurait qui était Denzal. Il inspira profondément pour se calmer puis il hocha la tête. Son fils se précipita aussitôt à l’arrière de la maison. Il en revint quelques secondes plus tard avec Alessia et trois étrangers. Il reconnut aussitôt à quel peuple ils appartenaient, avec les écailles qui brillaient sur la quasi-totalité de leurs corps. Il s’agissait de trois Aegiriens. Il déglutit. Maintenir ses sorts, ne pas trahir ses secrets, et soigner le blessé. Il se composa un sourire de façade et ouvrit la porte de la chaumière.

— Fais-le entrer, je vais l’aider.

L'Espoir de Nounaïa : Denzal (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant